Transports publics urbains : la gratuité tient-elle la route ?

Après l'avoir expérimenté le week-end et les jours fériés, la communauté urbaine de Dunkerque vient de passer à la gratuité sept jours sur sept de son réseau de bus. Ce qui fait d'elle la plus grande agglomération à rendre gratuits ses transports en commun. Les villes qui l'ont devancée, Aubagne, Castres, Châteauroux, Gap ou Niort, sont de taille plus modeste. Cette mesure choc et très politique est loin de faire l'unanimité dans le secteur. Mais elle refait surface et d'autres grandes agglomérations comme Amiens et Grenoble y réfléchissent. Serait-ce un enjeu fort des prochaines municipales du printemps 2020 ?

Promesse de campagne devient réalité. Lors des dernières municipales celui qui fut élu maire de Dunkerque et président de sa communauté urbaine (CUD), Patrice Vergriete, en avait fait un axe fort et défendu la gratuité du bus pour “provoquer un choc favorable au transport en commun” et “rendre du pouvoir d’achat aux habitants”. C’est chose faite depuis le 3 septembre. Nul besoin d’un ticket ou d’un abonnement pour prendre le bus : ce transport public est devenu gratuit. Une mini-révolution dans un secteur globalement hostile à la gratuité totale, sensible au fait de remettre l’usager au centre mais sans dépasser ce qui reste considéré comme une ligne rouge. Cette tentation de la gratuité, les opérateurs de transports (UTP), les associations d’élus (Gart) ou d’usagers (Fnaut) la dénoncent régulièrement d’une voix commune. Ils pointent un risque de dégradation de l’offre avec la baisse des subventions publiques.

Dans une note de position réactualisée à la fin 2017, le Groupement des autorités responsables des transports (Gart) recense une vingtaine de réseaux ayant fait le choix de la gratuité totale, soit “une minorité sur plus de 300 autorités organisatrices de la mobilité “. Il relève que la question continue de “s’inviter dans les débats tout particulièrement lors des grands rendez-vous électoraux”. Et qu’un nombre croissant d’agglomérations s’y mettent, majoritairement de moins de 50.000 habitants. L’association d’élus introduit une nuance dans son refus d’encourager cette pratique : elle serait éventuellement “pertinente dans certains réseaux où les recettes tarifaires sont très faibles, voire inférieures au coût de la perception, mais ne peut être généralisable à l’ensemble des territoires”. Il lui est préféré le développement de tarifications sociales.

Dunkerque montre un autre chemin

A Dunkerque, ces recettes de billettique ne sont pas négligeables. La perte sèche liée à leur abandon n’est pas jugée insurmontable. Le manque à gagner de 4,5 millions d’euros par an, soit 10% du coût global du réseau, a été selon le maire compensé grâce à un arbitrage budgétaire (annulation d’un projet d’équipement sportif porté par son prédécesseur). Quant à la tarification sociale, elle y est déjà en place. “Ancienne et avancée, celle-ci a sans doute facilité la logistique du passage à une gratuité partielle puis complète. D’un point de vue économique, la CUD n’a jamais pu compter sur des recettes commerciales substantielles. Cette tradition ancrée de tarification progressive en fonction du statut et du revenu des passagers peut en partie expliquer que le passage à la gratuité n’ait pas produit de véritable levée de boucliers de la part des acteurs locaux en charge des transports publics”, analyse le chercheur Henri Briche dans une étude d’une ampleur inédite (200 pages).

Mise en gratuité, suivez le guide

Réalisée par l’association de chercheurs et cabinet d’études Vigs, qui conseille la CUD, elle se présente comme “une contribution scientifique au débat sur la gratuité”, sur son impact pour les usagers et les territoires. C’est aussi un véritable guide destiné aux collectivités qui s’intéressent au sujet. Les effets positifs de la gratuité y sont décryptés : incitation à abandonner la voiture, évolution de la fréquentation (notamment dans les villes pionnières, croissance du nombre de voyageurs en partie due à une sous-utilisation du réseau avant sa mise en gratuité), développement de la mobilité et du lien social, diversification de la clientèle (plus de familles), allègement du budget des ménages en difficulté, transformation des pratiques (baisse des incivilités, réactions des chauffeurs) et dynamisation de centres-villes en déclin, etc.

L’étude ne fait l’impasse ni sur les villes qui l’ont testée puis jeté l’éponge (Colomiers en Haute-Garonne, Compiègne dans l’Oise), ni sur “les sérieux défis et incertitudes que la gratuité pose dans deux domaines” : la viabilité économique de la mesure dans un contexte de recettes déjà “sous pression” et de coûts de fonctionnement qui augmentent ; et la lourde restructuration que cela impose pour l’exploitant “à la fois dans le reclassement de ses agents de maîtrise mais aussi dans l’évolution des pratiques du métier”. Par ailleurs, des pistes de recherche sont listées et donnent de la matière à creuser pour les années à venir.

Le chef de file estonien

C’est la capitale de l’Estonie, Tallinn, qui a le plus inspiré et motivé Dunkerque à se lancer. Avec ses 420.000 habitants, elle est la plus grande ville au monde à avoir adopté la gratuité des transports en commun. Réservée aux résidents qui y sont domiciliés, cette municipalité a œuvré à la constitution d’un réseau européen de promotion du transport gratuit. Présent le 1er septembre aux premières rencontres des villes du transport gratuit organisées à Dunkerque, son maire Taavi Aas y a rappelé que des villes comme Paris, Bucarest et de grandes villes allemandes étudient l’intérêt de la gratuité ou s’apprêtent à se lancer. Au sujet des incivilités, le maire LR de Châteauroux, Gil Averous, également présent à ces rencontres, a constaté pour conclure une baisse des dégradations sur le réseau car “plus personne n’est en infraction, il n’y a pas cette peur du contrôle et les chauffeurs sont plus à l’aise”.

Crédit CUD

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