Société de confiance : le Sénat sceptique

Jugé "globalement décevant" voire "contre productif", le projet de loi pour un Etat au service d'une société de confiance a été accueilli sans grand enthousiasme par la commission spéciale chargée de l'examiner avant son passage en séance au Sénat à partir du 13 mars prochain. Plusieurs dispositions de ce texte "fourre-tout" ont ainsi fait les frais de ce désaccord profond sur la méthode : du rescrit administratif, à l'expérimentation d'un référent unique doté d'un pouvoir de décision dans les maisons de services au public, en passant par la réforme des modes d'accueil de la petite enfance.

En adoptant le 22 février le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, la commission spéciale du Sénat a marqué son scepticisme sur ce texte “un peu complexe, voire fourre-tout”, s’inquiétant de la création d’un grand nombre de dispositifs et de droits nouveaux, certes “louables”, mais dont la mise en oeuvre pratique et l’articulation “sont loin d’être évidentes”, et “dont certains seront très chronophages pour nos fonctionnaires”. Mais visiblement, c’est aussi la forme qui pose problème. Au nombre de douze pour un projet de loi de 70 articles, les demandes d’habilitation à légiférer par ordonnance touchent “des secteurs très larges et parfois mal définis”. La commission en a supprimé certaines et réduit, par principe, leur durée à un maximum de douze mois. Par exemple, à l’article 26 : habilitation à légiférer par ordonnance pour autoriser les maîtres d’ouvrage à déroger à certaines règles de la construction. 
Même réserve sur l’accumulation de rapports d’évaluation (une cinquantaine dans le texte transmis par l’Assemblée), le nombre en cette matière étant “souvent à l’opposé de la qualité”. La commission a donc, très largement, allégé sur ce point le projet de loi, en supprimant les articles 25 bis, 40, 40 bis, 41, 42, 43, 45 et 46. Elle s’est en revanche montrée plus inspirée par le recours aux expérimentations (dix-sept au total), “même si certaines devaient pouvoir être conduites sans recourir à la loi”. 
Avec ce projet de loi, le Sénat inaugure la nouvelle procédure de législation en commission (Plec). Une douzaine d’articles -15 ter, 17, 17 bis A, 17 bis B, 22, 22 bis, 27, 37, 41, 42, 45 et 46 – ont fait l’objet d’un examen sous l’empire de ce dispositif, qui veut que le droit d’amendement s’exerce uniquement en commission, la séance plénière étant centrée sur le vote du texte ainsi établi.


Droit à l’erreur


La commission a approuvé dans leur ensemble les objectifs consensuels développés avec “une certaine emphase” dans une annexe “dépourvue de valeur normative”. Pour autant, elle a trouvé dans la Stratégie nationale d’orientation de l’action publique pour la France d’ici à 2022, “plus de portes ouvertes que de nouveautés révolutionnaires”. 
Pas de bouleversements sur la mesure phare du projet de loi (article 2), mais quelques ajustementsproposés par la rapporteure Pascale Gruny, au dispositif du droit à l’erreurprésenté comme la possibilité de se tromper dans ses déclarations sans risquer une sanction dès le premier manquement. Il s’agit de prévoir expressément que l’administration “est tenue” d’inviter l’usager à régulariser sa situation, si elle s’aperçoit d’une erreur entrant dans le champ du dispositif. Une définition de la fraude est également introduite, dans la mesure où elle constitue, tout comme la mauvaise foi, une condition d’application de sanction sans invitation à régulariser. Autre ajout en commission, le texte étend le bénéfice du droit à régularisation en cas d’erreur, aux collectivités territoriales, notamment dans leurs rapports avec l’État et ses services (article 2 bis A). De même, le taux réduit de TVA sur les travaux d’amélioration des logements serait applicable dès le premier acompte, même si l’attestation du propriétaire n’est fournie qu’au moment du paiement de la dernière facture (article 3 bis AA). En revanche, la commission a acté la suppression de l’article 2 bis introduit à l’Assemblée, prévoyant que l’absence d’une pièce à l’appui d’une demande d’attribution de droits ne peut conduire l’administration à suspendre l’examen du dossier. “Mieux vaudrait plutôt revoir la liste de certaines pièces non essentielles, que d’édicter un principe dérogatoire général créant de facto une nouvelle procédure”, a estimé Pascale Gruny, pointant le flou de la notion de “pièce indispensable”.


Droit au contrôle


Sur le droit au contrôle, la commission a fixé un délai de six mois dans lequel l’administration doit y procéder,”afin de le rendre réellement opérationnel et incitatif pour les usagers” (article 2). Même si en définitive l’administration pourra toujours refuser le contrôle de façon discrétionnaire s’il conduit à compromettre son bon fonctionnement. Elle a également subordonné l’opposabilité des “conclusions expresses” rédigées à l’issue d’un contrôle à la possibilité pour l’administration de se prononcer en toute connaissance de cause. La rapporteure a aussi souhaité apporter certaines garanties en termes de respect du secret de la défense nationale et de protection de la vie privée au dispositif d’ouverture des données de l’administration fiscale relatives aux valeurs foncières, prévu à l’article 4 ter. Pour ces mêmes raisons, la préservation d’un régime spécifique (à l’article L. 135 B du LPF) de transmission des données foncières aux collectivités et acteurs professionnels de l’urbanisme, de l’aménagement et de l’immobilier est apparue nécessaire.


Opposabilité des circulaires


A l’article 9, le texte étend aux notes comportant une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives, la condition selon laquelle leur applicabilité est subordonnée à leur publication régulière.


Rescrit


L’article 10 qui tend à généraliser la pratique des prises de position formelles de l’administration ou “rescrit” est purement supprimé. Le renvoi au décret pour en fixer l’ensemble des conditions, est jugé “problématique”, par le rapporteur Jean-Claude Luche, puisque rien n’est précisé, pas même les moyens nouveaux que cela supposerait. En cohérence, l’article 11 sur l’expérimentation de l’approbation implicite de projets de rescrits adressés par un administré est lui aussi retranché du texte. Même constat à l’article 17 bis (supprimé) qui prévoit l’expérimentation d’une médiation de dialogue entre les entreprises et les administrations. Sa rédaction très large, obère en particulier, selon la commission, les perspectives d’articulation avec les médiateurs sectoriels existants. 
Le “rescrit juridictionnel” mis en place, à titre expérimental, à l’article 31 est quant à lui maintenu mais largement revu pour répondre aux critiques de la commission. Ce faisant sont exclues les décisions prises sur le fondement du code de l’urbanisme, dans la mesure où celui-ci comprend déjà des dispositifs restreignant le droit au recours à l’encontre des documents d’urbanisme, tout comme d’ailleurs, le code de l’environnement.


Certificat d’information


Des compléments sont apportés au dispositif des certificats d’information mis en place au profit des porteurs de projet, s’agissant en particulier d’élargir ce nouveau droit à l’information aux personnes exerçant déjà une activité (article 12). Lorsque les règles applicables à l’activité visée relèvent de plusieurs administrations, il appartiendra à l’administration saisie d’orienter l’usager vers les autres interlocuteurs concernés. Le délai de délivrance du certificat est en outre réduit à “trois mois” (au lieu de cinq) : plafond qui paraît selon le rapporteur “plus en phase avec l’horizon du démarrage d’une activité”. 
Sur le modèle du certificat d’urbanisme, le texte limite par ailleurs l’effet de la cristallisation des règles- expérimenté à l’article 12 bis – en excluant les règles “préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l’environnement”. L’usager pourra également demander l’application d’une règle nouvelle qui lui serait plus favorable.


Référent unique


Le texte confère une portée plus large au référent unique en permettant d’inclure également les organismes de sécurité sociale dans le champ de l’expérimentation prévue à l’article 15. Celle prévue à l’article suivant (15 bis) visant à adosser au dispositif les maisons de service public(MSAP) en les dotant d’un référent unique avec pouvoir décisionnel est en revanche supprimée. Nombre d’acteurs locaux entendus par les rapporteurs lors des auditions préalables “ont exprimé leur scepticisme, voire leurs inquiétudes, quant à la mise en œuvre opérationnelle d’une telle mesure”, remarque le rapporteur. Les structures des MSAP représentent tous les cas de figure, souligne Loïc Cauret, président délégué de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) : “certaines sont très petites, d’autres abritent La Poste”, elles n’ont pas la personnalité morale et les acteurs qui la composent diffèrent fortement d’une maison à l’autre. “Pourquoi légiférer ?”, s’interroge le rapporteur. D’autant que rien n’empêche les partenaires de certaines MSAP, d’inscrire dans la convention-cadre des modalités se rapprochant du dispositif du référent unique prévu à l’article 15 du projet de loi.


Contrats de ville


Egalement introduit à l’Assemblée, l’article 15 ter est quant à lui maintenu. Pour rappel, il s’agit ici d’expérimenter dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville, la mise en place d’une plateforme dématérialisée de dépôt des dossiers de demande de subventions – qui seront instruits dans le cadre de l’instance de pilotage du contrat de ville – ainsi qu’un référent unique pour leur suivi. Afin de s’assurer du volontariat des collectivités concernées, le texte prévoit désormais l’accord de l’ensemble des signataires des contrats de ville retenus dans le cadre de l’expérimentation. La durée de l’expérimentation est en outre portée de deux à trois ans.


Chambres d’agriculture


Les conditions, “notamment financières et organisationnelles”, pour le déploiement des nouvelles missions dévolues par le projet de loi au réseau des chambres d’agriculture devront nécessairement être abordées dans l’ordonnance prévue à l’article 19. Quant à l’expérimentation portant sur la régionalisation, le transfert aux chambres régionales d’agriculture des misions des chambres départementales devra se faire “avec l’accord” de celles-ci.


Etat civil


Les résultats de l’évaluation des dispositifs expérimentés aux articles 23 (suppression des justificatifs de domicile pour la délivrance de titres d’identité), 23 bis (attestation de résidence comme justificatif de domicile pour les Français établis hors de France) et 24 (ordonnance sur la dématérialisation des actes d’état civil établis par le ministère des Affaires étrangères) seront “transmis au Parlement”. Lors des auditions, l’Association des maires de France (AMF), par la voix de Didier Maus, s’est montrée extrêmement réservée, sur ce dernier point rappelant son “extrême attachement à la conservation des actes d’état civil”.


Agents publics


L’article 22 prévoit une dispense de signature de l’employeur pour les décisions relatives à la gestion des agents publics produites par voie dématérialisée dans le cadre des systèmes d’information des ressources humaines. La commission en étend le champ d’application aux “agents contractuels de droit public”de La Poste et des établissements publics industriels et commerciaux (Epic). Elle simplifie également la rédaction proposée à l’article 22 bis reportant l’entrée en vigueur de la déclaration sociale nominative (DSN) pour les employeurs publics.


Petite enfance


Parfaite illustration du désaccord sur la méthode : l’habilitation à légiférer par ordonnance sur les modes d’accueil de la petite enfance “manifestement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les cavaliers législatifs” (26 bis). Pour justifier sa suppression, Pascale Gruny relève en outre une habilitation “pour une période particulièrement longue” (18 mois) et dont la rédaction “est particulièrement large”. Autrement dit, la commission digère mal de voir lui échapper une telle réforme.


Dialogue environnemental


Autre disposition dans le viseur : l’article 33 qui vient déroger à titre expérimental aux procédures de participation du public – tout juste réformées par ordonnance du 3 août 2016 – pour certains projets nécessaires à l’exercice d’une activité agricole. La commission préfère supprimer l’expérimentation, jugée “prématurée”, tout en conservant la demande de rapport devant évaluer la réforme opérée par l’ordonnance en 2016. Pour le rapporteur Jean-Claude Luche, il est important de maintenir une enquête publique, dont la dimension “présentielle” est soulignée, préalablement à l’autorisation des projets agricoles. Lors des auditions, l’AMF s’est également montrée “extrêmement réservée” sur les transformations de l’enquête publique prévues aux articles 33 et 35. “Les règles ne sont pas parfaites, mais les commissaires enquêteurs sont disponibles pour les citoyens”, a remarqué Didier Maus. La commission a par ailleurs introduit un article additionnel (35 bis) visant à aligner le délai de recours des tiers à l’encontre des décisions relatives aux installation classées sur le délai de droit commun(à savoir deux mois).


Energies renouvelables


Le bilan de la réforme des énergies marines renouvelables – envisagée par le projet de loi par la voie d’une ordonnance – devra s’attacher à évaluer non seulement l’impact sur les délais de réalisation des projets mais aussi sur les coûts associés à ces projets pour la collectivité (art. 34). Il est par ailleurs proposé de clarifier les conditions dans lesquelles s’exerce la maîtrise d’ouvrage déléguée prévue par l’article 34 bis pour réaliser des travaux de raccordement aux réseaux publics d’électricité. L’article 34 ter est quant à lui supprimé (dispense pour les activités hydroélectriques accessoires de toute procédure environnementale). Sur l’article 34 quinquies, la commission suggère d’inscrire directement dans la loi le fait que la procédure d’extrême urgence en matière d’expropriation peut s’appliquer aux ouvrages des réseaux d’énergie, “plutôt que de recourir à une ordonnance qui ne se justifie pas”. Cette mesure est en outre ouverte aux ouvrages des réseaux publics de gaz. Un article additionnel (34 sexies) vise à exclure de la réfaction tarifaire les installations d’électricité renouvelable raccordées au réseau de distribution soutenues dans le cadre d’une procédure concurrentielle.


Sraddet


L’article 37 prévoit que l’évaluation des anciens plans départementaux et régionaux de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) soit réalisée par les nouvelles commissions régionales compétentes. Toutefois, la commission a jugé utile de prévoir que les départements, qui ont procédé à l’élaboration de certains de ces plans, soient associés à leur évaluation. D’autant qu’il convient que l’évaluation de ces plans soit rapide, pour ne pas retarder l’élaboration des PRPGD et leur intégration dans les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).


Philie Marcangelo-Leos



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Commission spéciale du Sénat sur le projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance

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