Sapin 2 : le Sénat vote des modifications notables pour les collectivités

Statuts des lanceurs d'alerte, lutte contre la corruption, pantouflage, associations d'élus, marchés publics, foncier agricole... les modifications de la Chambre haute au projet de loi Sapin 2, approuvé ce 8 juillet, ont des conséquences notables pour les collectivités.

Après l’Assemblée nationale le 14 juin dernier, le Sénat a adopté, ce vendredi 8 juillet, en première lecture, le projet de loi “relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique” dit “Sapin 2” du nom du ministre des Finances, qui porte principalement ce texte. Les sénateurs du groupe Communiste, républicain et citoyen (CRC) ont voté contre, PS et écologistes se sont abstenus, la droite votant la version modifiée par le Sénat à l’occasion d’un scrutin à main levée. La proposition de loi organique relative à la compétence du défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte qui l’accompagne a également été approuvée (par les communistes, comme la droite, PS et écologistes s’abstenant).
Les dispositions sont variées : création d’une Agence de prévention de la corruption, répertoire unique des représentants d’intérêts, statut des lanceurs d’alerte, extension des prérogatives de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, modernisation de la vie économique… Sur ce volet en particulier, le texte fait “figure, en cette fin de législature, de voiture-balai des occasions manquées ou des promesses oubliées (…) “, a relevé le rapporteur François Pillet. La commission des lois du Sénat s’est efforcée de le ramener à de plus justes proportions en le délestant de nombreux cavaliers législatifs.

Lanceurs d’alerte : le cadre se précise

Premier axe de ce texte : la protection des lanceurs d’alerte. Suivant les propositions de sa commission des lois, le Sénat a bâti un cadre plus restrictif. “L’alerte elle-même doit être définie de manière précise – crime, délit, violation grave et manifeste de la loi. Le lanceur d’alerte de bonne foi doit démontrer [cette violation] en passant d’abord par son supérieur hiérarchique, par le référent désigné par l’employeur, par l’ordre professionnel, l’autorité administrative ou judiciaire, en leur laissant le temps de réagir – sauf risque de dommage grave et irréversible. Point n’est besoin dans tous les cas d’appeler à témoin l’opinion publique”, a justifié le président de la commission, Philippe Bas. Le gouvernement a en revanche rétabli la prise en charge par le défenseur des droits d’une aide financière destinée à l’avance des frais de procédure et de la réparation des dommages moraux et financiers (art. 6 F).
Le texte applique aux fonctionnaires la protection des lanceurs d’alerte, prévue par la commission, contre toute mesure discriminatoire (art. 6 E). L’Agence de prévention de la corruption sera maintenue sous la tutelle unique du garde des Sceaux, dans l’optique plus générale d’en faire le “bras armé ” du parquet financier à compétence nationale créé par la loi de 2013. A l’instar des administrations de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés d’économie mixte, les associations reconnues d’utilité publique, elles aussi concernées par le risque de corruption, seront soumises à son contrôle.

Association d’élus : l’ambiguïté partiellement levée

Les règles applicables aux représentants d’intérêts entrant en communication avec le président de la République ou les membres du Conseil constitutionnel seront rendues publiques (art. 13). Un amendement de repli prévoit finalement d’exclure de la liste des “représentants d’intérêts” les associations d’élus “dans le cadre du dialogue avec le gouvernement et dans les conditions fixées par la loi”, au même titre que les partis politiques, les organisations syndicales et professionnelles ou les associations à objet culturel. Les dirigeants des principales associations d’élus s’étaient fortement mobilisés pour demander que soit levée cette ambiguïté en excluant clairement les associations de collectivités de la définition des représentants d’intérêts. “C’est un véritable problème de principe que d’ignorer la vocation première des associations d’élus qui est bien de porter auprès des pouvoirs publics les préoccupations des exécutifs élus des collectivités locales. Leurs actions ne sont guidées que par la recherche de l’intérêt général et leurs membres sont tous élus au suffrage universel, ce qui constitue une différence de nature évidente avec d’autres lobbies”, a relevé Alain Vasselle (Oise) porteur de cet amendement aux côtés d’autres présidents d’associations départementales de maires et de Caroline Cayeux, sénatrice-maire de Beauvais et présidente de Villes de France.

Le pantouflage dans la hotte de la Haute Autorité

Le texte accorde à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) la faculté de rendre publique une mise en demeure adressée à un représentant d’intérêts qui ne respecterait pas les règles déontologiques qui lui sont applicables. La HATVP se voit également confier les compétences sur le “pantouflage” (reconversion professionnelle dans le secteur privé à l’issue de fonctions gouvernementales ou électives locales) aujourd’hui dévolues à la commission de déontologie de la fonction publique (13 quater nouveau). L’amendement communiste en ce sens a toutefois été restreint par un sous-amendement du rapporteur François Pillet proposant de placer sous la compétence de la Haute Autorité uniquement les personnes tenues de déposer une déclaration d’intérêts et une déclaration de situation patrimoniale (collaborateurs du président de la République,  cabinets ministériels, directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des autorités territoriales et hauts-fonctionnaires nommés en conseil des ministres). Les autres fonctionnaires et agents contractuels continueraient de relever de la compétence de la commission de déontologie.

Encadrement des offres anormalement basses

Sur le volet marchés publics, un amendement permet de sanctionner pénalement l’acheteur public qui n’aura pas rejeté une offre anormalement basse (art. 10 sur le délit de favoritisme). Il s’agit d’inciter le déclenchement, par les pouvoirs adjudicateurs, de l’article 55 du code des marchés publics. Pour ce faire, “il est indispensable de définir les offres anormalement basses et de mettre au point une méthode de détection”, a défendu Alain Vasselle. Le texte prévoit l’intervention d’un décret à destination des maîtres d’ouvrage publics pour pallier cette lacune (art. 16 bis). Par ailleurs, un amendement exempte les offices publics de l’habitat (OPH) du régime financier et comptable des collectivités territoriales. “Les organismes d’HLM, quel que soit leur statut, doivent bénéficier d’un régime financier unique”, a justifié Didier Marie. Le texte (art.16 bis) procède également à la réécriture de l’article 89 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 (indemnisation du titulaire du marché de partenariat en cas d’annulation, résolution ou résiliation du contrat par le juge) en s’inspirant de l’ordonnance relative aux contrats de concession.

Transparence des acquisitions foncières

Les dispositions sur la protection du foncier agricole, introduites par l’Assemblée nationale, ont également fait l’objet d’un examen approfondi. L’article 30 AB qui ne permet de faire exception au droit de préemption des Safer que lorsque les droits sociaux provenant de l’affectation de terre au capital d’une société agricole sont cédés à un associé qui est dans l’exploitation depuis plus de dix ans est supprimé. Pour le rapporteur de la commission des affaires économiques, Daniel Gremillet, “un vrai travail en concertation avec la profession agricole est encore nécessaire”. De même pour l’article 30 AC prévoyant que l’apport en société de terres agricoles peut être remis en cause si les parts sociales correspondantes ne sont pas conservées pendant dix ans.
Le gouvernement a en revanche repris en son nom deux amendements déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. Ces dispositions permettent aux Safer d’acquérir, à l’amiable, la totalité des parts de groupements fonciers agricoles ou ruraux, et non plus de limiter leur prise de participation à 30% maximum du capital de ces sociétés agricoles. Une autre mesure permet à une Safer de maintenir, dans le but de rétrocéder les droits sociaux ainsi acquis, sa participation au capital d’une société de personnes pendant une période qui ne peut excéder cinq ans, sans autre modification (30 AE).
Le mécanisme d’affectation particulière des biens fonciers agricoles au sein du capital social de toute société – soutenu par l’association “Terre de Liens” (lire notre article ci-contre) – est également revu (30 A). Le nouveau mécanisme impose que l’acquisition de foncier agricole par une société se fasse par l’intermédiaire d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole (typiquement groupement foncier agricole – GFA – ou société civile immobilière – SCI). Pour que l’encadrement des cessions de foncier agricole soit complet, le texte donne aux Safer la possibilité d’exercer leur droit de préemption en cas de cession partielle des parts ou actions d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole (GFA ou SCI), lorsque l’acquisition aurait pour effet de conférer au cessionnaire la majorité des parts ou actions, ou une minorité de blocage au sein de la société.
Le texte (30 BB) précise également le cadre du barème de la valeur vénale moyenne des terres agricoles. Enfin, le régime de concession temporaire prévu à l’article 221-2 du code de l’urbanisme est assoupli (30 BC). Le régime actuel oblige à un préavis plutôt long (d’un an au moins) pour y mettre fin, freinant certaines collectivités qui ne concèdent donc pas les terrains agricoles. Le texte ajoute l’option de délivrer le préavis soit trois mois avant la levée de récolte, soit trois mois avant la fin de l’année culturale.  
Examiné en procédure accélérée, le texte doit maintenant passer l’étape de la commission mixte paritaire chargée de trouver une version de compromis.

 

 

 

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