Quand le droit à la vie familiale fait rempart aux règles d’urbanisme

Dans une décision du 17 décembre dernier, la Cour de cassation a estimé que le juge des référés ne pouvait ordonner l'enlèvement de caravanes occupées par des gens du voyage en méconnaissance du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune, sans examiner la proportionnalité de cette mesure au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile proclamé à l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. 

Le pourvoi en cassation avait été formé par l’une des occupantes suite à l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Versailles ordonnant en référés l’évacuation des caravanes et la démolition de tous les ouvrages en dur (cabanon en tôle et algécos), ainsi que la remise en état de la parcelle, dans un délai de deux mois. Pour faire droit à la demande de la commune d’Herblay (Val d’Oise), l’arrêt d’appel a retenu que la parcelle était située dans une zone naturelle dans laquelle le PLU interdit l’implantation de constructions à usage d’habitation, les terrains de camping ainsi que le stationnement de caravanes à l’usage d’habitation. Le juge des référés a ainsi écarté l’argumentaire des requérants selon lequel l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme de même que le droit au logement, principe à valeur constitutionnelle, doivent primer sur le règlement d’urbanisme.

 

Le droit fondamental de toute personne au respect de sa vie privée

Faisant application de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 17 octobre 2013, Winterstein et autres c. France, n° 27013/07*), la Cour de cassation vient de leur donner gain de cause, considérant que dans le cadre de la procédure d’expulsion les requérants n’ont pas bénéficié d’un examen convenable de la proportionnalité de l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile conforme aux exigences de l’article 8. La jurisprudence européenne retient en effet une conception large de tous les termes contenus dans le paragraphe 1 de cet article consacrant le droit fondamental de toute personne au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile. La notion de “domicile” recouvre ainsi les résidences non-traditionnelles (comme les caravanes), indépendamment de la légalité de cette occupation au regard du droit de l’urbanisme (voir également CEDH, 25 septembre 1996, Buckley c. Royaume-Uni, n°20348/92).

 

La proportionnalité de la mesure

Dans la mesure où la vie en caravane fait partie intégrante de l’identité des gens du voyage, le droit des requérants au respect de leur vie privée et familiale est en jeu. Or, il ne peut être porté atteinte à ce droit “que par des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”, rappelle la Cour de cassation. Pour la Cour, une décision ordonnant en référé l’évacuation des caravanes et la destruction des ouvrages en dur appartenant à un habitant du voyage, propriétaire de la parcelle sur laquelle est ainsi établi son domicile, “ne relève pas de ces mesures strictement nécessaires”. Quant à la proportionnalité de la mesure d’enlèvement des caravanes, le juge des référés a accordé une place prépondérante à la non-conformité de leur présence sur les terrains au PLU, sans prendre en compte l’ancienneté de l’installation, la tolérance de la commune “depuis des années”, et l’absence de possibilité de relogement.

Cette question se posait d’autant plus que la commune “n’est pas en mesure de fournir un nombre suffisant de places de stationnement pour les gens du voyage conformément aux dispositions légales relatives aux conditions d’accueil spécifiques des gens du voyage”. Enfin, il ne s’agissait pas de terrains communaux faisant l’objet de projets de développement, et il n’y avait pas de droits de tiers en jeu.

 

*Dans l’affaire Winterstein et autres c. France, les requérants pour la plupart issus du monde du voyage résidaient également sur la commune d’Herblay (Val d’Oise). Dans son arrêt, la CEDH a considéré que l’expulsion de gens du voyage des terrains sur lesquels ils étaient établis de longue date a violé leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile. 

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