En l’espèce (arrêt du 3 avril n°358258), les requérantes estimaient que devaient être annulés le 5° de l’article R. 211-81, et l’article R. 211-81-5 du code de l’environnement, dans leur rédaction issu du décret litigieux. Le premier article fixe la limitation de la quantité d’azote qui peut être répandue annuellement à savoir 170 kg par hectare. Le second article concerne les dérogations temporaires pouvant être prises par les préfets « dans les cas de situations exceptionnelles, en particulier climatiques », après avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques. Les associations requérantes avançaient trois moyens à l’appui de leur prétention.
La première question posée au Conseil était la suivante : la limitation à 170 kg d’azote par hectare et par an est-elle garantie par le décret ? Le décret fixe les modalités de calcul pour cette limitation de la quantité maximale d’azote contenue « dans les effluents d’élevage pouvant être épandue annuellement par exploitation». Les associations considéraient que ces nouvelles méthodes de calcul ont pour effet « de relever la quantité maximale d’azote pouvant être épandue annuellement par exploitation » ce qui porte atteinte à la lutte contre la pollution par les nitrates et méconnaît les objectifs fixés par l’article 1er de la Directive du 12 décembre 1991 ainsi que ceux de l’article L. 211-1 du code de l’environnement sur la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. Auparavant, la quantité d’azote ne pouvait excéder 170 kg par hectare de surface agricole utile, déduction faite des surfaces où l’épandage était interdit ; le décret supprime la déduction des ces surfaces. Le Conseil réfute cet argument et a retenu que la Directive « nitrates » ne se réfère pas aux zones où l’épandage est interdit mais dispose seulement que « la quantité d’effluents d’élevage épandue annuellement, y compris par les animaux eux-mêmes, ne dépasse par une quantité donnée par hectare », qui correspond à la quantité d’effluents contenant 170 kg d’azote. Ainsi, le décret est conforme à la directive sur ce point.
Ensuite, les requérantes estimaient que le principe d’équilibre de la fertilisation de la parcelle visé à l’article R. 211-81 3° du code de l’environnement n’était pas conforme à la directive « nitrates », ni au principe de gestion durable et équilibrée de l’article L. 211-1, en raison de son « caractère complexe et difficilement contrôlable ». Le Conseil réfute également ce moyen et retient que les associations se sont fondées sur « des réserves émises par l’Autorité environnementale dans son avis du 12 octobre 2011, postérieur au décret, sur le projet d’arrêté définissant le contenu même du programmes national d’actions » et qui n’ont donc pas d’incidence sur la légalité du décret litigieux. De plus, le décret est en conformité avec la directive dans la mesure où celle-ci prévoit ce principe de fertilisation équilibrée.
Sur le dernier moyen, les requérantes avançaient d’une part que le décret permettait aux préfets des départements de déroger de façon temporaire aux mesures de l’article R. 211-81-5 en “cas de situations exceptionnelles, en particulier climatiques”. Selon elles, les raisons justifiant une possible dérogation ne sont pas assez précises, et n’encadre pas assez l’action préfectorale. Au contraire, le Conseil estime que cette référence à des “situations exceptionnelles, en particulier climatiques” délimite les possibilités de dérogation et sont conformes à l’obligation dévolue aux autorités administratives “de prendre les mesures qu’impose la protection de l’ordre public et de la santé publique”. Enfin, le Conseil rappelle qu’aucun principe ne s’oppose à ce pouvoir alloué aux préfets.
D’autre part, les associations sous-tendaient que ces mesures d’urgence ne tenaient pas compte du principe de participation du public au sens de l’article L. 120-1 du code de l’environnement. Or selon le Conseil, l’article L. 120-1 prévoyait une exemption de l’obligation de participation du public en « cas d’urgence justifiée par la protection de l’environnement, de la santé publique ou de l’ordre public », dans sa version alors en vigueur lors de la rédaction du décret litigieux. Ainsi, le moyen a été écarté et le Conseil a rappelé aux requérantes qu’elles ne peuvent contester l’absence de participation du public « que par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité » dans la mesure où ce principe est défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement et repris à l’article L. 120-1.
Cet arrêt s’inscrit dans la saga « nitrates » que connaît la France, qui d’une part a déjà été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne pour la non inscription de certaines zones vulnérables ayant des teneurs en nitrates excessives, et est menacée par une autre condamnation à venir, au regard des propos tenus par l’avocat général de la Cour le 16 janvier dernier, estimant que « La Commission a fait état d’améliorations de la qualité des eaux superficielles, cependant, elle n’a observé que peu de changements pour les eaux souterraines. Cela concerne aussi la France où, depuis 2000, plus de 10 % de toutes les stations de mesure relèvent à chaque fois des taux de nitrate supérieurs à 50 mg/l dans les eaux souterraines. Pour les eaux superficielles, cela est nettement plus rare et, en outre, les mesures de taux problématiques ont tendance à diminuer. »