Ancien élève de l’ENS et de l’ENA, agrégé d’Histoire, Harold Huwart, 41 ans, est maire de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) depuis juin 2020, président de la Communauté de communes du Perche et vice-président de la région Centre –Val de Loire en charge de l’Économie, du Tourisme et de l’Europe. Il est également vice-président du Parti Radical.
Propos recueillis par Jérôme Besnard.
Le Journal des Communes : Nous fêtons les quarante ans des lois de décentralisation et pourtant rien ne semble achevé dans cette architecture complexe. Quelle est votre analyse sur le sujet ?
Harold Huwart : Je suis un ardent défenseur de l’État. Pour autant, nous sommes bien obligés de constater qu’en quarante ans, il n’a pas réussi à instaurer une coexistence saine et efficace avec les collectivités. Dans la plupart des sphères transférées, les fonctionnaires d’État conservent des compétences. On est dans un système profondément malsain en réalité. On constate un mécontentement général tant du côté des élus locaux que des fonctionnaires d’État. En quarante ans, la décentralisation a reculé car l’autonomie fiscale des collectivités locales a reculé et avec elle la liberté de prise de décision des élus locaux. Ils croulent sous la réglementation et les procédures. On en arrive à une asphyxie intégrale de l’action publique vis-à-vis des grandes décisions. Ce n’était pas le cas du temps de nos prédécesseurs. Si vous faites un sondage auprès des élus locaux, immanquablement ils vont demander un retour à une liberté d’action en matière budgétaire sans être prisonniers d’une législation de plus en plus complexe et contraignante.
En 40 ans, la décentralisation a reculé car l’autonomie fiscale des collectivités locales a reculé.
JDC : La métropolisation apparaît aux yeux de ses détracteurs comme une tentative de s’aligner sur des standards internationaux dans un contexte mondialisé au risque de reléguer la ruralité dans une périphérie délaissée par les pouvoirs publics. Ce système est-il compatible avec la relance de l’aménagement du territoire annoncée par le Président de la République ?
HH : J’étais conseiller à Matignon auprès de Jean-Marc Ayrault en 2013. La loi Métropoles de 2014 a été scindée de la loi NOTRE de redéfinition des compétences des collectivités, qui sera votée en 2015. Le but affiché était de faciliter l’investissement au niveau métropolitain pour s’adapter à la concurrence mondiale mais cela a débouché sur une décentralisation à deux vitesses. D’un côté l’État a affiché sa volonté de concentrer un certain nombre de pouvoirs au niveau métropolitain, de l’autre on a conservé dans les territoires ruraux des mécanismes désuets avec des communes rurales sans moyens et des départements amputés de certaines de leurs compétences. Cela traduit un manque d’ambition de l’État concernant la ruralité. En réalité, la métropolisation est l’autre face de la centralisation. Elle amplifie les ruptures sociales et territoriales à tous les niveaux, directement responsables de la montée du vote RN dans les zones rurales et des récentes émeutes urbaines dans les banlieues et les villes moyennes. Par ailleurs, il faut bien voir que la centralisation n’a aucun sens à l’ère du numérique. La compétition mondiale pour l’innovation exige de nous de la souplesse, de la réactivité et de la déconcentration. Or, la centralisation, c’est l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités.
JDC : Dans l’éternel débat entre les couples intercos – région et départements – communes, où situez-vous le bon équilibre ?
HH : Il ne s’agit pas là de deux visions antagonistes. Le vrai débat est ailleurs : l’enjeu en France est de reconstruire les politiques de solidarité. Cela ne se fera qu’à partir des territoires. On pense toujours que l’État est le premier garant de l’égalité républicaine. Ça n’est plus vrai dans les politiques sociales et d’aménagement. L’État est devenu créateur de ruptures et d’inégalités. L’État doit se défaire des compétences relatives à la solidarité : logement, santé, médico-social, social… Mais pour cela, il faut une volonté politique qui vienne d’en haut et il faut trancher le nœud gordien des finances locales. Aucune réforme décentralisatrice ne peut aboutir sans autonomie des finances locales. Il y a aujourd’hui une trop grande dépendance des collectivités à l’égard de l’État. D’ailleurs, les collectivités et les élus ne réclament plus de transferts de compétences, car depuis vingt ans, l’État s’est contenté de transférer des bouts de compétences parmi les plus coûteuses, sans assurer la compensation réelle en matière de charges financières. Ainsi, on voit désormais des régions refuser le transfert de l’exploitation de lignes ferroviaires. Nos collectivités n’ont plus les moyens de leurs politiques.

JDC : Vous avez dénoncé au printemps le danger de la loi RIST pour les hôpitaux de proximité, dont celui de Nogent-le-Rotrou. Votre inquiétude perdure-t-elle ?
HH : Dès le début, j’ai considéré que la loi RIST était absurde et inspirée par des réflexes syndicaux publics qui n’ont pas lieu d’être dans un hôpital qui a besoin des médecins libéraux pour répondre aux besoins de la population. Aujourd’hui, tous les directeurs d’hôpitaux s’aperçoivent que cette réforme entraîne des dépenses supplémentaires et des fermetures de services. Cette réforme était censée permettre 1,5 milliard d’économies mais elle risque fort de se traduire dans les faits par 500 millions de dépenses supplémentaires annuelles. C’est un exemple de plus de ces réformes inventées en chambre par des technocrates du ministère de la Santé et de Bercy qui voient dans la dénonciation des médecins libéraux un bon moyen d’accélérer des fermetures de services au moment où nous manquons de médecins. Il s’agit là d’un calcul assez cynique.
JDC : Beaucoup d’experts alertent sur une crise latente du logement en France. Quel doit être le rôle des collectivités en matière de logement social, de maîtrise de l’étalement urbain et de rénovation des centres-villes ?
HH : J’avais été très marqué lors de mes études par la première phrase d’un livre d’Edgard Pisani qui disait : « La question foncière est la question politique par excellence. » Il faut redonner aux maires un vrai pouvoir d’aménagement. Permettant une reprise en main du foncier. Il est urgent que le législateur réarme les maires dans ce domaine. Il faut dans une certaine mesure retrouver les prérogatives élargies qui existaient après la Libération dans un contexte de reconstruction du pays mais qui ont été retirées aux maires à compte des années 1980 au nom des libertés individuelles. Sans nouvelles prérogatives d’aménagement concédées aux maires, la raréfaction du foncier alliée à la hausse des taux d’intérêt va stopper la production de logements. Enfin, les bailleurs sociaux doivent cesser d’être matraqués par des ponctions sur leurs trésoreries.
Redonner des marges de manœuvre aux maires est une nécessité vitale pour le pays.
JDC : Comme maire et vice-président de région, trouvez-vous l’actuel gouvernement ambitieux en matière de décentralisation ? Comment jugez-vous dans ce domaine la politique d’Emmanuel Macron depuis 2017 ?
HH : J’ai été impressionné par la sortie de la crise des Gilets jaunes et les discours très ambitieux et offensifs de l’exécutif. La pandémie de COVID puis la crise énergétique consécutive au conflit ukrainien ont coupé cet élan. À chaque crise, le pays tout entier se tourne vers Paris et l’État pour trouver des solutions. Cela alimente la recentralisation. Mais l’avenir du pays implique pourtant de redonner de la marge de décisions aux entreprises et aux collectivités, au privé, comme au public. Dans ce domaine, la solution ne viendra ni des discussions avec les partis politiques ou les associations d’élus mais, si solution il y a, elle viendra du Président de la République. Redonner des marges de manœuvre aux maires est une nécessité vitale pour le pays. Trop de projets locaux sont suspendus à des décisions centralisées, cela dans le secteur privé comme dans la sphère publique.