Dialogue environnemental : le Parlement autorise définitivement la ratification des ordonnances

Une nouvelle étape vient d’être franchie dans la feuille de route de modernisation du droit de l’environnement à travers la ratification de deux ordonnances en matière de dialogue et d’évaluation environnementale. Au-delà des améliorations techniques, les apports ont été nombreux dans l’hémicycle pour faire évoluer les textes, notamment dans le sens d'un plus large accès au nouveau droit d'initiative citoyenne.

Par un ultime vote du Sénat ce 15 février, le Parlement a définitivement donné son feu vert à la ratification de deux ordonnances prises le 3 août 2016 dans le cadre d’une habilitation de la loi dite “Macron” : l’une sur l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes, l’autre sur l’information et la participation du public lors de l’élaboration de décisions ayant une incidence sur l’environnement. Les sénateurs ont approuvé à main levée l’accord trouvé en commission mixte paritaire (CMP) le 20 décembre dernier. Au travers de ce projet de loi de ratification, le législateur a apporté un certain nombre d’enrichissements à ces ordonnances “techniques”, dont l’initiative remonte au drame du barrage de Sivens. De manière concrète, le secrétaire d’Etat à la Transition écologique, Sébastien Lecornu, a observé que la Commission nationale du débat public (CNDP) va ainsi pour la première fois transposer son savoir-faire aux plans et programmes nationaux faisant l’objet d’une évaluation environnementale. Un large débat est déjà mis sur pied pour les documents stratégiques des quatre façades maritimes françaises et pour la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (lire ci-dessous nos articles des 1er et 13 février 2018).



Séquence “ERC”


En simplifiant la procédure d’évaluation environnementale, la première ordonnance (2016-1058) allège les contraintes pesant sur les petits projets et les petites collectivités, qui, dans un grand nombre de cas, n’auront plus à réaliser d’étude d’impact systématique. Objectif : cibler l’évaluation environnementale sur les projets les plus “impactants”, au travers d’une nomenclature rénovée par le décret du 11 août 2016.
Lors du passage dans l’hémicycle, un premier ajout – à l’article L. 122-1 du code de l’environnement – oblige le maître d’ouvrage à répondre systématiquement par écrit à l’avis formulé par l’autorité environnementale. Pour rappel, lorsqu’un projet est soumis à évaluation environnementale, le dossier comprenant l’étude d’impact et la demande d’autorisation déposée est transmis pour avis à l’autorité environnementale et désormais aux collectivités territoriales ainsi qu’à leurs groupements intéressés par le projet.
Le projet de loi de ratification propose également de compléter l’article L.122-3 qui détaille le contenu de l’étude d’impact, pour y faire figurer des informations sur l’incidence prévisible d’un projet sur la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers. “Les mesures d’évitement, de réduction et de compensation, qui ont parfois des conséquences importantes sur les surfaces, seront prises en compte”, s’est félicité Alain Fouché, rapporteur pour le Sénat de la CMP. La logique du dispositif est en effet que la démarche “éviter-réduire-compenser” (ERC) soit au cœur du processus. Le texte traduit ainsi la nouvelle définition de la séquence ERC issue de la loi Biodiversité, à l’article L. 122-1-1 (pour les projets) et par coordination aux articles L. 122-3 et L. 122-6 (pour les plans et programmes).
Le débat sur la fameuse “clause filet” – permettant de soumettre à une étude d’impact un projet situé au-dessous des seuils réglementaires – est en revanche renvoyé à un autre véhicule législatif, au regret du sénateur de Loire-Atlantique, Ronan Dantec (ratt. RDSE).



Droit d’initiative citoyen


Mais c’est surtout la seconde ordonnance (2016-1060) qui a donné lieu à des échanges nourris lors de l’examen du projet de loi de ratification, s’agissant en particulier de donner davantage d’effectivité aux mécanismes de consultation. C’est dans cet objectif qu’il a été envisagé de rallonger les délais ouvrant le droit d’initiative citoyenne (de deux à quatre mois) ou de plafonner “à 5 millions d’euros” le seuil de dépenses ou de subventions publiques au-delà duquel il peut être exercé (L. 121-17-1). Très – trop? – encadré, ce droit d’initiative ouvert par l’ordonnance aux populations concernées par un projet, aux exécutifs territoriaux et aux associations agréées permet de demander au préfet l’organisation d’une concertation préalable en amont de l’instruction d’un projet. Il a été évalué le très faible caractère opérationnel du dispositif pour le seuil de 10 millions d’euros tel qu’établi par le décret n° 2017-626 du 25 avril 2017 : de l’ordre d’un projet tous les cinq ans. Le changement du seuil déclenchant l’obligation de déclaration d’intention et permettant l’exercice du droit d’initiative est prévu “deux mois” après la promulgation de la loi de ratification.


Rôle du garant


Dans le cadre des grands projets d’aménagement et d’équipement de plus de 150 millions d’euros, 10.000 ressortissants de l’UE résidant en France pourront désormais saisir la CNDP. Par ailleurs, 500.000 citoyens ou 60 parlementaires pourront le faire sur un projet de réforme d’une politique publique. Hors champ de la CNDP, le dispositif de concertation préalable repose également sur la responsabilisation des porteurs de projet, plans et programmes, incités à organiser volontairement une participation du public. Il est rappelé que les dépenses relatives à l’organisation matérielle d’un débat public ou de la concertation préalable incombent au maître d’ouvrage ou à la personne publique responsable.
Les objectifs de toute concertation préalable sont en outre précisés par le projet de ratification (L. 121-15-1). Il est également mentionné que la responsabilité d’une demande de désignation d’un garant auprès de la CNDP incombe à la personne publique responsable ou au maître d’ouvrage (L. 121-16-1). Cette question est importante dans la mesure où si une telle concertation est organisée volontairement par le maître d’ouvrage, alors le droit d’initiative ne trouve plus à s’exercer. La réforme facilite le recours aux garants, en charge de veiller au bon déroulement de la procédure de concertation préalable et d’en assurer le bilan. Leur rôle est clarifié par le texte de ratification notamment pour garantir une meilleure diffusion des informations. Le refus par un garant de transmettre à la CNDP une demande d’étude technique ou d’expertise complémentaire formulée lors de la concertation devra être motivé. Le garant est par ailleurs chargé de veiller à la diffusion des expertises présentées par les parties prenantes (L. 121-1-1). Autre ajout : la désignation facultative d’un garant chargé de la phase d’information et de participation intermédiaire, entre la concertation préalable en amont et l’enquête publique en aval, pour les projets non soumis à la CNDP (L. 121-16-2).


Eviter les doublons


Ce projet de ratification prévoit l’articulation indispensable avec le code de l’urbanisme (CU) s’agissant des modalités de concertation. Cinq cas sont distingués témoignant ici encore de la complexité du sujet. Pour le schéma d’ensemble du réseau de transport public du Grand Paris, c’est avant tout la procédure de débat public prévue par la loi du 3 juin 2010 qui s’applique. Le deuxième cas est celui des débats publics organisés par la CNDP : pas de concertation supplémentaire au titre du code de l’urbanisme, tranche le texte. Troisième cas : débat public et concertation préalable relevant de la CNDP. Là encore, il s’agit de ne pas multiplier les procédures. Il est apparu logique que pour les gros projets, la compétence de la CNDP prime sur le CU. Dès lors qu’une concertation préalable est organisée, les dispositions de l’article L. 103‑2 du CU ne sont plus applicables. Quatrième cas : celui où le maître d’ouvrage choisit de ne pas saisir la CNDP sur un projet supérieur à 150 millions d’euros. Il doit alors mettre en oeuvre lui-même une concertation préalable au titre du code de l’environnement. “Il ne faut donc pas lui imposer en outre de concertation préalable au titre du code de l’urbanisme”, observe Jean-Marc Zulesi, l’autre rapporteur de la CMP. Pour tous les autres cas, en revanche, c’est le code de l’urbanisme qui prévaut.


Enquête publique


En amont du processus décisionnel, la réforme généralise la dématérialisation de l’enquête publique. L’article L. 123-13 rend notamment obligatoire la mise à disposition sur un site internet de toutes les observations et propositions formulées par le public, y compris de celles qui ne sont pas recueillies par voie électronique. Son entrée en vigueur a toutefois été repoussée au 1er mars 2018. La raison : un travail considérable de numérisation de tous les documents reçus sur support papier attend les préfectures et collectivités. Pour y parer, le texte limite donc l’obligation de mise en ligne aux observations et propositions transmises par voie électronique.
Le secrétaire d’Etat a réaffirmé son engagement “à ce qu’une évaluation rapide de l’application de ces ordonnances ait lieu”. Le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, en cours d’examen, prévoit à cette fin un rapport d’ici deux ans.


Philie Marcangelo-Leos



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