Qu’ont en commun Brest, Nantes et Chambéry ? Ces métropoles ont verdi leurs réseaux de chaleur et les alimentent à plus de 60% avec des énergies renouvelables ou de récupération (EnR&R). Un résultat atteint par paliers progressifs. “Nos deux réseaux hérités des années 1970-80 ont peu évolué jusqu’au transfert de compétence en 2005 à la communauté urbaine, qui a fait bouger les choses avec la création d’un petit réseau alimenté au bois pour se faire la main, puis de réseaux privés et l’extension des réseaux historiques en intégrant de grosses chaudières biomasse”, retrace Philippe Weisz, directeur du pôle énergies nantais, lors d’une conférence organisée le 6 mai dans cette métropole par le réseau d’élus Amorce, la Fédération des services énergie environnement (Fedene) et le Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU).
Les constats de vulnérabilité de la compétitivité économique face à la concurrence du gaz et d’un trop faible rythme de développement de la filière pour atteindre les objectifs nationaux fixés y ont été répétés. Les 760 réseaux français livrent 1,1 térawattheure (TWh) par an de chaleur, “or, pour ne pas décrocher, il faudrait atteindre au moins 2 TWh”, résume Laurène Dagallier, chargée de mission chez Amorce. “Un constat qui ne doit pas ternir l’éclat des progrès réalisés ville par ville, au niveau local”, tempère un autre expert.
Enjeux sociaux et d’appropriation
Pour reprendre l’exemple nantais, la moitié des bâtiments publics sont raccordés à l’un des sept réseaux existants. “Et 33.000 logements, avec un fort enjeu social grâce au coût stable de cette énergie dans le temps. Cela représente 8% du parc, ce n’est certes pas suffisant mais on continue de développer la chaleur renouvelable avec notre futur réseau Nord Chézine prochainement mis en service”, indique Philippe Weisz. Un schéma directeur des réseaux – “un outil rendu obligatoire pour décrocher des aides si le réseau n’est pas majoritairement alimenté par des EnR&R”, précise à l’Ademe l’ingénieur David Canal – y est aussi en cours d’élaboration.
Des dispositifs restent à explorer pour mieux associer les acteurs locaux et habitants et contrer l’effet Nimby (not in my backyard) qui impacte la filière : “Les riverains se plaignent de subir des travaux de génie civil et de canalisations alors qu’ils ne bénéficieront pas de cette chaleur livrée à d’autres logements que les leurs”, raconte Philippe Weisz. “Incarner l’enjeu, symboliser le réseau ne sont plus des points à négliger”, appuie Ivan Bardin, directeur général d’Eco Chaleur de Brest.
Valoriser l’innovation
La métropole bretonne a innové en implantant, près du point de consommation et non près du point de production de la chaleur, un ouvrage très visible (20 mètres de haut) et soigné architecturalement pour du stockage d’énergie thermique. En clair, il permet d’optimiser le réseau de chaleur brestois et d’intégrer un stockage de chaleur d’appoint à proximité d’une université où la demande en chauffage est forte en début de semaine et pèse malgré des précautions prises sur le budget de l’établissement (25.000 euros par semaine). L’eau du réservoir est chauffée par une unité de valorisation énergétique (UVE) des déchets située à proximité. “D’un point de vue technique, on peut encore améliorer le réseau brestois constitué de sept sites de production et utilisant 85% d’EnR&R, en abaissant les régimes de température de retour à travers une série d’actions, dont du conseil en efficacité énergétique aux abonnés, à déployer dès l’été 2020”, poursuit Ivan Bardin.
“Il n’y a pas que la technique, les innovations sont aussi ailleurs, dans les nombreux services que ces réseaux peuvent apporter. La cinquième génération de réseaux ne se contentera pas de livrer de la chaleur”, prédit Bertrand Guillemot, à la tête de la plateforme européenne DHC+ et de l’innovation chez Dalkia. “Nous verdirons encore le nôtre, resté municipal mais exploité par une filiale d’Engie, en récupérant plus de chaleur de l’UVE grâce à une turbine nécessitant d’investir sept millions d’euros”, ajoute Alain Colson, chargé de mission à la ville de Chambéry. Cet expert en audit et contrôle des concessions estime qu’une question doit poindre car elle importe dans l’équilibre des futurs contrats d’exploitation. S’il est, un jour, rendu obligatoire pour le bâti tertiaire neuf d’être raccordé à un réseau de chaleur (dans le cadre des discussions sur la réglementation environnementale RE 2020), dans quelle mesure faut-il développer de nouveaux réseaux alors que ces bâtiments sont bien moins énergivores qu’avant ? “On s’est posé la question en raccordant notre CHU, qui consomme deux fois moins qu’avant”, indique-t-il.
La décroissance s’applique-t-elle aux réseaux de chaleur ? Mieux vaut sûrement densifier l’existant que créer de nouveaux réseaux. “Mais densifier, c’est facile à dire, moins à faire “, prévient pour conclure Dominique Egret, longtemps à la tête des services techniques de Châteaubriant (Loire-Atlantique) et venu présenter le process de raccordement depuis un an de son réseau de chaleur à une centrale solaire thermique dont l’envergure (800 panneaux solaires) est unique en France.