Sécurité des ponts : les élus locaux pointent le déficit d’expertise

Trois associations d'élus ont participé le 30 janvier au Sénat à une table ronde sur la sécurité des ponts organisée par sa commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Elles ont pu exposer leurs difficultés, pas seulement financières, pour assurer la maintenance de ce patrimoine et ont avancé des pistes pour y remédier.

Parallèlement à la consultation en cours lancée auprès des élus locaux pour recueillir leur témoignage et qui a déjà recueilli plus de 600 contributions en ligne, les sénateurs continuent d’ausculter l’état des 200.000 ponts français. Un “actif stratégique”, évalué à 200 milliards d’euros, qu’une mission d’information dotée de prérogatives d’enquête a choisi de sonder en long et en large. C’est dans ce cadre qu’une table ronde organisée par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a recueilli le 30 janvier les propositions de trois associations d’élus.
“Parmi ces 200.000 ponts – un tous les cinq kilomètres – 12.000 sont gérés par l’État, 15.000 par les concessionnaires, 100.000 par les départements et 80.000 par les communes. Selon les premières auditions menées, il faudrait 500 millions d’euros par an pour les entretenir convenablement, et ce dans le contexte que nous connaissons de baisse continue des dotations”, a introduit le centriste Hervé Maurey (Eure), président de cette mission d’information sur la sécurité des ponts créée en octobre dernier. 

Un patrimoine très hétérogène

L’Observatoire national de la route (ONR) piloté par l’Idrrim éclaire sur l’état des ponts notamment départementaux. Des données 2017 portant sur 41.700 ouvrages départementaux indiquent qu’environ 64% sont en bon état, 27,5 % affichent des défauts nécessitant de menus travaux et 6,7% présentent une structure altérée nécessitant des travaux de réparation. Seuls 2% d’entre eux sont dans un état nécessitant de “réduire à court terme la capacité portante” (restrictions de circulation). “Soit une moyenne, approximative et à prendre avec des pincettes, de cinq ponts par département qui doivent être reconstruits ou consolidés”, en déduit Philippe Herscu, conseiller pour l’Assemblée des départements de France (ADF). Les plus fragiles sont en métal ou en maçonnerie. Une moitié de départements inspectent chaque année ses ponts, a minima ceux en mauvais état. Une seconde moitié les “visite” tous les deux à neuf ans. 

Un déficit d’expertise

Dans ce domaine très technique, les départements font remonter des difficultés à mobiliser des compétences qui se raréfient notamment du fait des départs à la retraite. “Même lorsqu’ils vont la chercher dans le privé, l’expertise manque”, indique Philippe Herscu. “Et comme elle est rare, les coûts s’envolent”, ajoute Christophe Ferrari, président de Grenoble-Alpes-Métropole et représentant de l’Association des maires de France (AMF). La nostalgie des anciennes directions départementales de l’Équipement (DDE) se fait sentir. “Les DDE faisaient un recensement régulier des ouvrages d’art ; aujourd’hui, le Cerema (Centre d’étude et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) fait du bon travail mais plus sur le plan méthodologique. Il faut aussi mieux faire connaître les innovations territoriales et les bonnes pratiques”, suggère Charles-Éric Lemaignen, vice-président de l’Assemblée des communautés de France (AdCF). La communauté technique des CoTITA, qui réunit des techniciens locaux de l’Etat et des collectivités, contribue également mais visiblement cela ne suffit pas : les associations d’élus réclament de concert la création d’un outil cartographique simple de type SIG recensant les ponts et leur état précis. Et mieux intégrer la vulnérabilité climatique et les impacts du réchauffement sur ces ouvrages. Se posent aussi des problèmes de domanialité et de prise en charge des ouvrages dits “orphelins”. 

Des maires mis au pied du mur

Émerge aussi l’idée de s’appuyer sur le Cerema pour développer un centre de ressources, partager des solutions et objectiver les coûts de maintenance sur ce sujet dont l’urgence croît à mesure que le patrimoine vieillit et se dégrade. Le problème se situe moins dans les métropoles, en capacité de suivre l’état des ponts et de déployer de l’ingénierie que dans les petites communes. “Or elles sont souvent concernées”, insiste Christophe Ferrari. Sur le territoire grenoblois, les expertises d’ouvrages s’accélèrent. “Plus elles tombent, plus la prise de conscience des maires augmente. Certains ouvrages sont usés jusqu’à la corde. Les élus sont sidérés”, poursuit-il. Pour éclairer leurs responsabilités en la matière, l’AdCF suggère la création de fiches pratiques et juridiques.

L’adjoint au maire d’Argenteuil (Val-d’Oise), François Poletti, représentant France urbaine, raconte pour sa part le récent épisode de fermeture partielle, suite à un affaissement, du pont de l’A15 géré par la DiRIF (direction des routes Île-de-France, Etat) : “Tout le département a été impacté. Argenteuil a été pris d’assaut. Ce pont desservant Paris était déjà sous surveillance, il y a eu des manquements d’entretien. Les travaux de réparation ont été tenus mais il a fallu du temps pour faire bouger l’État.” 

Dénouer les tensions financières

Diminution des investissements sur ces ouvrages, connaissance lacunaire de leur état, négligences d’entretien, le mal est fait et pour avancer sans regarder derrière, il reste à surmonter les problèmes financiers que posent leur maintenance et réparation. “Un modèle économique est à trouver”, disent ces élus. Parmi les pistes évoquées, la création d’un fonds national pour financer les audits et actions de suivi. Mais aussi changer les règles en donnant la possibilité aux collectivités d’imputer ces dépenses en section d’investissement et non de fonctionnement. Quant à la charge de l’entretien des ponts traversant des voies ferrées, sujette à crispation avec la SNCF, elle mérite de rétablir coûte que coûte un dialogue : “Il faut fluidifier les rapports avec la SNCF mais aussi Voies navigables de France. Et faire respecter les conventions passées”, pointe Philippe Herscu. “Et ne pas exclure le sujet des contractualisations financières. Il y a certainement une piste à explorer avec les attributions de compensation (AC) que les métropoles versent aux communes membres – à Grenoble c’est le cas. Et une autre en faisant évoluer les cahiers des charges des conventions de concession routière”, conclut Christophe Ferrari.

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