Les sept premiers décrets d’application de la loi portant réforme ferroviaire du 4 août 2014 ont été publiés au Journal officiel ce 11 février. En créant un groupe ferroviaire unifié composé de l’exploitant des trains, “SNCF Mobilités”, du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire, “SNCF Réseau” (l’actuel Réseau ferré de France-RFF), et d’un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) de tête nommé “SNCF”, ce texte – entré en vigueur début 2015 – a profondément remodelé l’organisation du système ferroviaire. Trois de ces décrets d’application ont donc principalement vocation à définir les missions et statuts des trois Epic composant la nouvelle architecture du groupe public ferroviaire (SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau). Y sont par ailleurs précisées les règles de gestion financière, ainsi que les règles de gestion domaniale et de contrôle de l’Etat. Les missions qu’exercera la SNCF, au bénéfice du système de transports ferroviaire national (missions transversales) comme du groupe public ferroviaire (fonctions mutualisées), ont été définies “de manière limitative”, souligne le secrétariat d’Etat chargé des transports, par le décret n°2015-137. Saisis pour avis l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) et l’Autorité de la concurence avaient en effet relevé les risques vis-à-vis de l’indépendance du gestionnaire d’infrastructure dont était porteuse la configuration de l’Epic de tête (SNCF), notamment du fait de l’imprécision de la délimitation des missions imparties.
Gestion des gares de voyageurs
Le deuxième décret n° 2015-138, qui s’attache à définir l’objet de SNCF Mobilités, contient notamment des dispositions relatives à la gestion des gares de voyageurs auparavant du ressort de la SNCF. Or, le maintien de la direction des gares au sein de SNCF Mobilités soulève de fortes inquiétudes dans un contexte d’ouverture progressive du secteur à la concurrence, comme l’ont relevé l’Araf et l’Autorité de la concurrence. Le litige porté devant l’Araf opposant le Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) et Gares & Connexions – la branche chargée des gares de voyageurs – y fait écho (lire notre article ci-contre). Le gouvernement assure avoir revue sa copie : l’indépendance de Gares & Connexions au sein de SNCF Mobilités a “été renforcée par rapport à la situation actuelle”, assure un communiqué. Le décret prévoit que la gestion des gares est exercée “au sein de SNCF Mobilités, par une direction autonome, dotée de comptes distincts des autres activités de l’établissement”. Il appartiendra au conseil d’administration de nommer le directeur des gares, sur proposition du président de SNCF Mobilités après avis de l’Araf. Sa révocation ne pourra être prononcée que dans les mêmes formes après avis de l’Araf. Cependant ce dernier ne disposera pas de la plénitude des compétences en matière de gestion des gares. Il reviendra en particulier au conseil d’administration d’arrêter les redevances d’accès en gare. Les exigences de transparence comptable, également pointées par l’Araf, “ont été améliorées pour permettre de mieux suivre les flux financiers”, indique le communiqué. Des comptes dissociés pour chacune des activités mentionnées sur le périmètre de l’établissement public seront établis. Mais en réalité, la majorité des recommandations contenues dans l’avis de l’Autorité de régulation – et dans celui de l’Autorité de la concurrence – destinées à renforcer son pouvoir de contrôle sur la gestion financière et comptable de SNCF Mobilités sont restées sans suite. Enfin, le décret permet à SNCF Mobilités de sous-traiter ou de subdéléguer le service de transport de voyageurs sur une portion du réseau ferré national, sans laisser toutefois à l’autorité organisatrice de transport, s’agissant des services d’intérêts régionaux et nationaux qui font l’objet de contrats de service public, le pouvoir de décider de confier l’exploitation de ses services à un tiers.
Maîtrise de l’endettement
Le troisième décret n° 2015-140 actualise le décret n° 97-444 du 5 mai 1997 modifié relatif aux missions et aux statuts de RFF pour tenir compte de la création de SNCF Réseau, dont l’objectif est de maîtriser l’endettement du gestionnaire de l’infrastructure. Pour chaque projet d’investissement dont la valeur excède 200 millions d’euros, l’Araf émettra, dans un délai de deux mois, un avis sur le montant global des concours financiers devant être apportés par SNCF Réseau. Ce seuil lui permettra de se prononcer sur la répartition des financements entre SNCF Réseau et les co-financeurs notamment pour les projets régionaux des contrats de plan Etat-Régions. Dans ce cas, l’Autorité aura également à analyser les prévisions d’évolution des offres conventionnées. Pas suffisant aux yeux de l’Araf, qui s’est prononcée défavorablement, mettant en cause le défaut d’encadrement des flux comptables et financiers entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau. S’agissant du contrat conclu entre l’Etat et SNCF Réseau, le décret se limite par ailleurs à reprendre, de manière incomplète, les termes de la loi, sans décliner les objectifs de maîtrise financière de la gestion de l’infrastructure. Sur le plan des règles d’accès au réseau, les conditions d’exploitation touristique des lignes ferroviaires sont également modifiées. Ainsi, lorsque l’exploitation touristique concerne une ligne à laquelle les entreprises ferroviaires n’ont pas accès, le décret prévoit la conclusion d’une convention de transfert de gestion entre SNCF Réseau et une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités. Enfin, le décret n° 2015-143 relatif à la sécurité des circulations ferroviaires et à l’interopérabilité du système ferroviaire, dont le seul objet est la mise en cohérence du décret existant (n°2006-1279 du 19 octobre 2006) avec la création de SNCF Réseau, n’apporte à ce stade aucune modification de fond aux règles applicables.
Procédure de déclassement
Point positif, la clarification de la procédure de déclassement, par SNCF, SNCF Mobilités, ou SNCF Réseau d’un bien immobilier devenu inutile à la poursuite de leurs missions. Le cas échéant, l’établissement “en informe au préalable le préfet ainsi que le président du conseil régional, le président du conseil général et le maire de la commune où est situé le bien”. L’Etat et les collectivités territoriales disposeront alors d’un délai de deux mois pour manifester leur intention de se porter acquéreur dudit bien. L’Araf ne sera quant à elle informée du projet de déclassement que si le bien est situé “à proximité de voies ferrées exploitées”, dans un périmètre défini par arrêté du ministre des Transports. En revanche, aucune procédure d’information ou d’autorisation n’est prévue pour la cession de biens entre les établissements publics du groupe ni pour la cession via la procédure d’expropriation de biens d’un des établissements publics au profit de l’Etat ou d’une collectivité locale.
Protection des informations sensibles
A l’aune de la décision récente de sanctions prononcée par l’Autorité de la concurrence à l’encontre de Fret SNCF pour avoir utilisé, à des fins commerciales, des informations confidentielles obtenues dans le cadre de sa mission de gestion déléguée des infrastructures, les mesures contenues dans le décret n° 2015-139 sur l’indépendance des fonctions de répartition des capacités et de tarification de l’infrastructure ferroviaire appellent “à la plus grande vigilance”, selon l’Araf. Ces dispositions prévoient en particulier la mise en place d’une sanction pénale pour la divulgation des informations commercialement sensibles détenues par le gestionnaire d’infrastructure. Par ailleurs, le décret détaille la composition et les modalités de fonctionnement de la commission de déontologie du système de transport ferroviaire chargée d’examiner la compatibilité des anciennes fonctions de certains dirigeants et personnels de SNCF Réseau avec des nouvelles fonctions au sein d’entreprises ferroviaires.
Enfin, un comité d’entreprise centralisé pour l’ensemble du groupe sera mis en place et complété par des commissions consultatives pour chacun des établissements (décret n° 2015-142). Une commission du statut particulier (décret n° 2015-141) – sera quant à elle chargée d’émettre un avis sur les projets de disposition portant sur le statut particulier de salariés de la SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau.
L’entrée en vigueur des décrets interviendra dès la prise d’effet des nouveaux titres de sécurité que SNCF Réseau et SNCF Mobilités devront obtenir auprès de l’Etablissement public de sécurité ferroviaire (EPSF), et au plus tard le 1er juillet 2015, “afin d’assurer une transition vers le nouveau groupe public dans le plein respect de la sécurité ferroviaire”, indique le secrétariat général aux Transports. En parallèle, les travaux de réorganisation des établissements publics et de construction du groupe public piloté par Guillaume Pepy et Jacques Rapoport se poursuivent, sous la supervision de Frédéric Saint-Geours, nommé président par intérim du conseil de surveillance de la SNCF. Au total, près d’une trentaine de décrets d’application seront publiés, parmi lesquels ceux permettant de déterminer plus précisément la place des régions dans la gouvernance du système ferroviaire, dont la publication n’est pas prévue avant juin 2015.
Références :
– Décret n° 2015-137 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de la SNCF et à la mission de contrôle économique et financier des transports.
– Décret n° 2015-138 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Mobilités.
– Décret n° 2015-139 du 10 février 2015 relatif à la confidentialité des données détenues par le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire et à la commission de déontologie du système de transport ferroviaire.
– Décret n° 2015-140 du 10 février 2015 relatif aux missions et aux statuts de SNCF Réseau.
– Décret n° 2015-141 du 10 février 2015 relatif à la commission du statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du Code des transports.
– Décret n° 2015-142 du 10 février 2015 relatif au comité central du groupe public ferroviaire et aux commissions consultatives.
– Décret n° 2015-143 du 10 février 2015 relatif à la sécurité des circulations ferroviaires et à l’interopérabilité du système ferroviaire.