L’Assemblée nationale a consacré ses séances des 17, 18 et 19 juin à l’examen des articles du projet de réforme ferroviaire, réservant le vote solennel au 24 juin prochain. Plusieurs amendements ont été votés pour réaffirmer l’intégration sociale et l’unicité du groupe public ferroviaire institué par ce projet de loi, et tenter de rassurer les syndicats qui tout en saluant ces avancées, ont néanmoins reconduit, ce vendredi 20 juin, le mouvement de grève entamé il y a dix jours. Destiné à stabiliser la dette du secteur ferroviaire (44 milliards d’euros) et préparer son ouverture totale à la concurrence, la réforme propose d’instaurer un Haut Comité du système de transport ferroviaire où toutes les parties prenantes (Etat, régions, entreprises du secteur, usagers, organisations syndicales) pourront débattre des grandes orientations, notamment à travers un rapport stratégique dont l’instance sera saisie pour avis.
Caractère indissociable du groupe public intégré
Mais surtout, le texte prévoit la création d’un groupe public industriel intégré, composé d’un établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) “mère”, nommé “SNCF”, et de deux Epic “filles”: “SNCF Réseau”, le gestionnaire d’infrastructure, l’actuel Réseau ferré de France (RFF), et “SNCF Mobilités”, qui exploitera les trains. Les députés ont adopté un amendement écologiste soulignant “le caractère indissociable et solidaire” de ces trois entités. La constitution d’un “comité central du groupe public ferroviaire” a par ailleurs été actée. De même que la mise en place d’un véritable cadre social harmonisé au sein du groupe public ferroviaire, favorisant la négociation d’accords communs à tous les agents du groupe. La “sécurité des personnes et des biens” sera une des missions de l’Epic de tête à travers la surveillance générale dite “SUGE”. Compte tenu de leur importance dans le financement du système ferroviaire national, un amendement garantit la présence d’au moins deux représentants des autorités organisatrices régionales des transports ferroviaires et du Syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) au sein du conseil de surveillance de l’Epic de tête.
Principe de responsabilité financière
Sans mise en œuvre de la réforme, la dette ferroviaire passerait de 44 milliards d’euros en 2013 à plus de 80 milliards d’euros en 2025. Pour freiner cette évolution, le texte établit une règle stricte pour responsabiliser l’Etat, les collectivités territoriales et les autres personnes publiques lorsqu’ils font réaliser des investissements “inconsidérés et/ou insoutenables”. Le contrat entre l’Etat, la SNCF et SNCF Réseau déterminera tous les trois ans les types de travaux de maintenance du réseau ferré national à accomplir. Sur les lignes nouvelles, “on n’exigera pas de financements de SNCF Réseau qui seraient insusceptibles de lui être remboursés, c’est-à-dire qui seraient à des niveaux tels que l’établissement ne pourrait, par l’exploitation de ses infrastructures, retrouver, sur la longue durée, dix ans (…). Dans ce cas, ce seraient ceux qui ont décidé ces investissements qui en assumeraient le financement : il s’agirait donc de crédits de l’Etat ou des régions”, a résumé le rapporteur Gilles Savary (PS). L’Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf) sera consultée sur les projets d’investissement de SNCF Réseau dépassant un certain seuil. En revanche, s’agissant des solutions qui pourraient être mises en œuvre afin de traiter l’évolution de la dette historique du système ferroviaire, le texte se contente d’exiger la remise par le gouvernement d’un rapport dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi. Par ailleurs, le texte, qui pointe pourtant du doigt les collectivités, élude la problématique du financement du renforcement du rôle des régions, a déploré le député Martial Saddier (UMP).
Gestion domaniale
Dans un souci de coordination de la gestion domaniale au sein du groupe ferroviaire, l’Epic de tête, en tant que “guichet unique”, sera l’interlocuteur de l’Etat et des collectivités territoriales lorsque ceux-ci souhaitent acquérir, après déclassement, un bien immobilier appartenant à la SNCF ou à SNCF Réseau ou géré par SNCF Mobilités. A noter, les déclassements seront soumis à l’autorisation préalable de l’Etat, après avis de la région (ou de la collectivité intéressée). SNCF Mobilités pourra procéder à ses propres déclassements, comme c’est le cas pour l’autre Epic, SNCF Réseau. Dans le cadre de l’harmonisation de la procédure de déclassement, un amendement garantit l’information de l’Araf de tout projet de déclassement. Les biens cédés à l’extérieur du groupe public ferroviaire après déclassement restent soumis au droit de préemption urbain (DPU). En revanche, un amendement exonère du DPU les transferts de biens du domaine public sans déclassement entre les entités du groupe public, afin de faciliter les opérations de remembrement interne. Dans le cas particulier des biens immobiliers de SNCF, SNCF Mobilités et SNCF Réseau financés par les AOT régionales, l’indemnité en cas de cession d’un de ces biens à l’autorité organisatrice devra tenir compte des financements déjà perçus par l’établissement public afin d’éviter l’écueil de payer deux fois pour le même bien.
Schéma des services ferroviaires d’intérêt national
Un article additionnel (1er bis) confie à l’Etat, en tant qu’autorité organisatrice des transports d’intérêt national, la responsabilité d’élaborer un schéma des services ferroviaires d’intérêt national et de mettre en place un mode de financement pérenne de ces services. En cause, la problématique des trains d’équilibre du territoire (TET), qui ont été créés en 2010, “à l’égard desquels l’Etat est particulièrement défaillant dans son rôle d’autorité organisatrice des transports”, a souligné le député Joël Giraud (RRDP) pour soutenir l’amendement. L’Etat devra également mieux encadrer la définition des services à grande vitesse, “largement financés par des subventions publiques à travers la participation financière de l’Etat et des collectivités”.
Compétence des régions pour définir la politique tarifaire des TER
Les députés ont également consacré le rôle de chef de file des régions pour “l’aménagement des gares d’intérêt régional” en lien avec leur rôle de chef de file en matière d’intermodalité. En outre, en vertu d’amendements des socialistes et des écologistes, il appartiendra à la région de définir la politique tarifaire des services d’intérêt régional “en vue d’obtenir la meilleure utilisation sur le plan économique et social du système de transport”. Il s’agit, pour le rapporteur Gilles Savary, d’une “avancée considérable (…) qui sera d’ailleurs probablement complétée par des dispositions figurant dans la loi de décentralisation”. Les députés ont en revanche refusé de reconnaître aux régions les prérogatives d’autorités organisatrices de plein exercice, à l’instar des autorités d’agglomération urbaine ou du Stif. De même ont-ils refusé d’introduire dans le texte au bénéfice des AOT la liberté de choisir le mode d’attribution de leurs contrats dans la logique du règlement “Obligations de services publics” dit OSP, ce dernier étant en cours de modification. Les matériels roulants destinés aux services TER, et financés par les régions, pourront leur être cédés, et leur revenir à l’expiration de la convention d’exploitation, ont concédé les députés.
Rôle de décideur des régions en matière d’investissements
Un amendement écologiste, repris par le gouvernement, permet par ailleurs de transférer aux régions, à leur demande, certaines lignes “physiquement séparées du reste du réseau ferré national”, revêtant des enjeux strictement locaux (art. 2 bis A). Egalement à l’initiative des écologistes, un article additionnel (art. 2 bis B) reconnaît aux régions la compétence pour créer ou exploiter des “lignes d’intérêt régional”, à l’instar de la compétence ouverte aux départements. Un décret devrait préciser dans quelles conditions les AOT seront consultées pour les investissements réalisés dans les gares de niveau national. Par ailleurs, et c’est là une avancée significative, le texte confie aux régions un rôle de décideur en matière d’investissements, en permettant aux AOT de décider de réaliser des investissements dans les gares relevant de leur ressort territorial. Enfin, à la demande des écologistes, un plan de stationnement sécurisé des vélos, à l’intérieur ou aux abords de gares prioritaires, sera élaboré par SNCF Mobilités – dans les trois ans suivant la promulgation de la loi – en concertation avec les collectivités territoriales concernées.
Le Sénat examinera à son tour le texte du 9 au 11 juillet.