L’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture, jeudi 29 septembre, le projet de loi “relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique”, dit “Sapin 2. Moins de deux jours de débats auront donc été nécessaires aux députés pour passer en revue les 106 articles restant en discussion (sur les 157 que totalise désormais le texte) après l’échec de la commission mixte paritaire (CMP).
L’UDI s’est abstenue et le groupe LR a voté contre ce texte sur lequel des sujets de désaccord cruciaux demeurent. Des points de convergence ont certes pu être trouvés sur les principaux sujets financiers et agricoles, mais pour l’essentiel, les députés ont rétabli une rédaction conforme au texte défendu en première lecture.
C’est ainsi une définition large des lanceurs d’alerte (art. 6 A) qui est retenue, permettant de couvrir les situations du type de celle d’Antoine Deltour à l’origine du scandale LuxLeaks sur les pratiques d’optimisation fiscale des multinationales au Luxembourg. “Il n’est pas acceptable qu’une personne qui a pris des risques personnels élevés au bénéfice de l’intérêt général soit condamnée pénalement. Il est du devoir de la société, et donc de ses représentants, de protéger les Antoine Deltour à venir”, a soutenu le ministre des Finances, Michel Sapin.
Les entreprises de plus de 50 salariés, les communes de plus de 10.000 habitants, les départements et les régions ainsi que les administrations de l’Etat devront mettre en place des procédures de recueil des signalements adaptées. Les tentatives de revenir à une définition plus restrictive du lanceur d’alerte et, dans un même mouvement, menaçant de sanctions assez lourdes si l’alerte se révélait abusive, ont toutes été rejetées.
Création d’un répertoire commun
Point dur de divergence entre les chambres, l’article 13 relatif à l’encadrement du lobbying auprès des pouvoirs publics a été au cœur des discussions dans l’hémicycle. Comme l’avait voté l’Assemblée en première lecture, le registre commun des représentants d’intérêts est partagé entre l’exécutif et les deux assemblées parlementaires, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), et ne procède plus par agrégation de registres distincts ainsi que le prévoyait le texte transmis par le Sénat. Sont compris dans la liste des acteurs publics susceptibles d’être des “cibles” du lobbying : les ministres et leurs collaborateurs, les collaborateurs du président de la République (mais non le président dont le statut relève de la seule Constitution), les parlementaires, leurs collaborateurs et les fonctionnaires parlementaires, les membres des autorités administratives indépendantes et les directeurs de leurs services, les hauts fonctionnaires titulaires d’un emploi pourvu en conseil des ministres, les principaux élus locaux et certains fonctionnaires de l’Etat ou territoriaux.
Sur initiative du gouvernement, la définition des représentants d’intérêt a été à nouveau remaniée pour tenir compte des capacités de contrôle réelles de la HATVP. Leur activité d’influence devra être “principale ou régulière” (et non plus “principale ou accessoire”). Il s’agit d’exclure ceux n’intervenant qu’exceptionnellement ou occasionnellement auprès des pouvoirs publics et pour qui s’inscrire dans le cadre du dispositif prévu serait excessivement contraignant. “Le terme ‘régulière’ que propose le gouvernement, est complètement mou”, s’est insurgé le député UDI Charles de Courson, “or nous ne sommes pas ici pour faire de la législation molle. Faisons une vraie loi claire, nette et applicable”.
L’Assemblée s’est également tenue à sa définition refusant d’y inclure l’ensemble des personnes publiques, et en particulier les collectivités territoriales. Quant aux associations représentatives des élus, elles seront finalement exclues du champ des lobbies “dans le cadre du dialogue avec le gouvernement et dans les conditions fixées par la loi”, précise le texte. “Soyons clair : il s’agit ici – et il ne s’agit que d’elles – des associations de collectivités territoriales”, a insisté le ministre Michel Sapin.
La déontologie étant évolutive et complexe, il a été ajouté la possibilité qu’un décret en Conseil d’Etat précise le code de déontologie pour les représentants d’intérêts. De même pour les modalités de transmission et de publication des informations qui doivent être fournies par ces derniers.
Durcissement de l’inéligibilité
Sur l’article 8, le texte adopté entérine la rédaction actée par l’Assemblée en première lecture, mais en ajustant le champ des entreprises concernées par l’obligation générale de prévention de la corruption et en reportant de six mois l’entrée en vigueur du dispositif. L’Assemblée confirme l’introduction d’un nouvel outil, sous la dénomination “Agence française anticorruption” (art. 1), service à compétence nationale, appelé à se substituer à l’actuel service central de prévention de la corruption (SCPC). L’article 2, qui fixe l’organisation de la nouvelle agence, s’agissant notamment des garanties d’indépendance fonctionnelle, rétablit la commission des sanctions en son sein.
En nouvelle lecture, les députés ont par ailleurs adopté un amendement rendant inéligible toute personne dont le casier judiciaire (bulletin n° 2 dit “B2”) comporte la mention d’une condamnation “pour manquement au devoir de probité”. Les condamnations pour “manquement à la probité” sont notamment les infractions de corruption et trafic d’influence, les infractions de recel ou de blanchiment et les infractions fiscales, selon l’auteure de l’amendement, la députée Fanny Dombre-Coste (PS). A l’initiative du rapporteur Sébastien Denaja (PS), l’Assemblée avait instauré, en première lecture, une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité en cas de condamnation pour les délits de manquements au devoir de probité commis par les personnes exerçant une fonction publique. Celui-ci s’est toutefois opposé à ce nouvel amendement à l’article 10, “pour des raisons purement juridiques”, estimant notamment qu’il ne concernerait que les élus locaux et non les parlementaires “parce qu’il faudrait pour cela une loi organique”.
Les amendements de Karine Berger (PS) et Olivier Marleix (LR) à l’article 12 élargissent quant à eux la portée du dispositif prévu par le projet de loi pour poursuivre des faits de corruption ou trafic d’influence commis à l’étranger en incluant dans son champ les délits commis à l’étranger, non seulement par des Français ou des entreprises françaises, mais également par toute entreprise exerçant totalement ou partiellement son activité dans notre pays. “L’affirmation de la compétence française permet aussi d’atteindre les entités du numérique, souvent dépourvues de filiales françaises/établissement stable au sens fiscal et pénal”, relève l’exposé des motifs.
Commande publique
Sur le volet marchés publics, un amendement supprime l’article 33 de l’ordonnance n°2015 899 du 23 juillet 2015 aux termes duquel les organismes de HLM peuvent, à titre dérogatoire, recourir à un marché global de conception-réalisation, donc sans passer par des lots, et ce jusqu’au 31 décembre 2018 (art. 16 bis). Il s’agit d’une “mesure discriminatoire pour les opérateurs n’ayant pas la capacité de fournir une offre globale comme les PME-TPE ou les artisans de nos territoires”, a justifié la députée socialiste Valérie Rabault.
Un amendement permet par ailleurs de rétablir l’article 54 bis E, supprimé lors de l’examen au Sénat, autorisant des agents assermentés d’un organisme exerçant une mission de service public dans le cadre d’une convention conclue avec une commune, de réaliser des enquêtes de recensement.
C’est également la version de l’Assemblée qui réapparaît à l’article 55 admettant la participation des établissements publics de l’Etat, mais également de leurs filiales, à l’actionnariat public des sociétés immobilières d’outre-mer (Sidom).