Véritable Arlésienne de la transition énergétique, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vient d’être adoptée par la voie d’un décret publié au Journal officiel ce 28 octobre. Introduit par la loi de transition énergétique du 17 août 2015, ce document stratégique traçant filière par filière les principaux objectifs énergétiques aux horizons 2018 et 2023 a donné lieu à de très nombreuses consultations, dont celle portant sur une nouvelle version du projet ouverte au public jusqu’au 15 octobre dernier (lire notre article ci-contre). Rien que pour cette toute dernière consultation, le ministère de l’Environnement affiche au compteur le chiffre astronomique de 5.323 commentaires, sans toutefois fournir de synthèse des observations ainsi recueillies sur ce sujet complexe.
Initialement prévue au premier semestre, la publication de la PPE a connu un premier report, avant que le gouvernement ne revoie sa copie suite à la lecture critique de plusieurs organismes (Conseil national de la transition écologique, Conseil supérieur de l’énergie, Autorité environnementale, comité d’experts).
Principalement, le décret contient les objectifs quantifiés de la PPE relatifs aux énergies renouvelables, chiffres déjà dévoilés en réalité dans la loi ou l’arrêté du 24 avril 2016 (lire notre article ci-contre). On y trouve également un “calendrier indicatif des procédures de mise en concurrence” pour les énergies renouvelables. En revanche, certains volets thématiques théoriquement annexés à la PPE, accessibles sur le site du ministère, dont la stratégie de développement de la mobilité propre (SDNMP), ne figurent pas expressément dans le décret.
Trop d’attente(s)
Quelques jours auparavant, ce 26 octobre, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’application de la loi de transition énergétique, présidée par Jean-Paul Chanteguet, (voir notre article ci-contre) portait une appréciation critique sur ce “document hybride”, “dont on a fait à tort le pilier de l’application de la présente loi”, fustigeant le retard pris. La loi prévoit une première période de programmation qui “s’achève en 2018”, dès lors la parution de la PPE “est-elle en phase avec ce calendrier ?”, s’interroge la mission. Au delà, les retards qui ont marqué le processus d’adoption de la PPE “ont à leur tour entraîné des applications différées de certains éléments de la loi”, déplore le rapport. Au plan juridique, c’est la forme même du document, “un décret simple”, qui est remise en cause par la mission. Le caractère réglementaire de la PPE, “prive le Parlement d’un examen, alors même que l’assemblée de Corse se prononce sur la PPE de Corse”, relève ainsi le rapport.
Occasion ratée sur le nucléaire
Force est de constater que la PPE représente également une occasion manquée de clarifier les choix futurs, en particulier en détaillant mieux comment la France entend réduire de 75 à 50% d’ici 2025 la part du nucléaire dans le mix énergétique. Tout en prenant acte de ce qu’un décret de fermeture des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) sera pris avant la fin 2016, le volet relatif à l’offre d’énergie de la PPE reste dans le flou sur l’éventualité d’autres fermetures et sur les prolongations d’exploitation au-delà de 40 ans de certains réacteurs. Sur l’épineux dossier nucléaire, le décret renvoie donc la balle dans le camp d’EDF chargé d’établir, “dans un délai maximal de six mois”, “un plan stratégique compatible avec les orientations de la programmation pluriannuelle de l’énergie”. La PPE, qui porte sur deux périodes de trois et cinq ans (2016-2018 et 2019-2023), sera revue en 2018 puis tous les cinq ans. A cette occasion, la fourchette anticipée de baisse de la production d’électricité nucléaire “pourra également être révisée”, selon le dossier joint à la PPE sur le site du ministère, “en fonction de l’augmentation de la production renouvelable et des efforts d’efficacité énergétique”.
PPE et territoires, un impact par ricochet
La PPE devrait agir comme une boussole orientant les territoires. Ce qu’elle fait, mais en partie seulement, et en livrant par secteur de grandes “orientations”. Par exemple, côté énergies renouvelables, la priorité va au développement de l’investissement participatif et à l’appropriation locale des projets, notamment via la participation des habitants et collectivités au capital de sociétés de projet. Les collectivités sont aussi concernées par les objectifs quantifiés de chaleur et froid renouvelables livrés par les réseaux de chaleur (1,35 million de tonnes d’équivalent pétrole ou Mtep en 2018). D’ici 2030, ces quantités devront croître grâce à une “densification massive et la création de nouveaux réseaux”. Un enjeu sur lequel l’association d’élus et de professionnels Amorce alerte régulièrement sur la nette diminution en vue du nombre de projets concrétisés. Aux territoires, la PPE enjoint aussi de se préparer à l’arrêt de la production d’électricité à partir de charbon à l’horizon 2023, ainsi qu’à réviser les schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3RENR) “lorsqu’ils arrivent à saturation”. Dans son avis dévoilé fin août, l’Autorité environnementale (Ae) regrettait le manque de précision sur la façon dont les objectifs de la PPE étaient déclinés ou pris en compte dans ces schémas de planification territoriale. Depuis, le texte n’en dit guère plus. Enfin, pour les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV), la PPE fixe l’objectif d’en labelliser 500, contre 400 actuellement. MB