Privée de colonne vertébrale, la loi sur la transition énergétique accumule les retards

Après plus de 8 mois de travaux, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'application de la loi de transition énergétique, présidée par Jean-Paul Chanteguet, a rendu un rapport de plus de 400 pages, mercredi 26 octobre. Les députés concentrent une grande partie de leurs critiques sur la "programmation pluriannuelle de l'énergie" (PPE) qui aurait dû être la "colonne vertébrale" de la loi et appellent à "revoir la place" du document pour en faire un texte législatif et non réglementaire. Les députés sont aussi très critiques sur la mise en œuvre du volet bâtiment du texte. 

La mission commune d’application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique, présidée par le député Jean-Paul Chanteguet (PS, Indre), a présenté son rapport le 26 octobre. Il s’agit d’un “chantier titanesque”, dont presque 80% des mesures d’application par décret ont d’ores et déjà été publiées durant ces quinze mois, a relevé la présidente de la commission des affaires économiques, Frédérique Massat. Pour rappel, on recense dans le texte 167 renvois à des mesures d’application, 56 habilitations à légiférer par ordonnance et 104 renvois au décret. L’importance purement quantitative de cette loi se mesure également à l’aune d’autres facteurs, comme le nombre de rapports demandés par le Parlement au gouvernement, soit 26 dont 3 seulement sont publiés. La mission n’a pas rechigné à faire son travail de suivi concret en analysant chacun des 215 articles du texte, “même les plus anodins”, note Jean-Paul Chanteguet, multipliant au fil de ses travaux les tables rondes thématiques, notamment sur les déchets et l’économie circulaire, les compteurs déportés ou les dispositions relatives aux bâtiments.

 

Nombreux “points d’insatisfaction” sur le volet bâtiment

Le titre II (rénovation des bâtiments) est sans doute celui sur lequel “les points d’insatisfaction sont les plus nombreux alors qu’il fixe en particulier comme objectif la rénovation de 500.000 logements par an”, remarque la rapporteure Sabine Buis. D’importantes mesures d’application sont en effet attendues, qu’il s’agisse de définir les bâtiments à énergie positive, les critères minimaux de performance énergétique y compris pour les HLM, des bâtiments du secteur tertiaire ou encore de l’individualisation des compteurs de chauffage. Le retard du décret portant sur le carnet numérique de suivi du logement est ainsi “inacceptable” pour la députée PS de l’Ardèche, alors que la loi prévoit son application aux permis de construire à compter du 1er janvier 2017. Sur ce volet, la mission préconise notamment de revoir les exceptions prévues par le décret du 30 mai 2016 relatif aux travaux embarqués. Des solutions pragmatiques doivent également être trouvées pour sortir des difficultés juridiques actuelles sur la question des colonnes montantes dans les immeubles d’habitation (un rapport est attendu), à l’exemple de l’accord passé en avril dernier entre le syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (Sipperec) et Enedis.

 

Transports : ça avance…

Sur le titre III (transports et qualité de l’air), Jean-Paul Chanteguet relève que ce volet “avance malgré tout dans le bon sens”. “C’est essentiellement sur les alternatives à l’automobile comme mode de transport que la loi peut avoir un impact significatif : covoiturage, vélo, carburant alternatif… autant de paramètres que la loi permet de promouvoir, notamment avec l’article 41 sur l’implantation de 7 millions de points de recharge pour les véhicules électriques”, remarque-t-il. S’agissant des dispositions sur le vélo (indemnité kilométrique, déduction fiscale, aire de stationnement…), le dispositif fonctionne “plutôt de manière satisfaisante”, même si le rapport suggère là aussi des améliorations. En matière d’aires de covoiturage, l’implication des concessionnaires d’autoroutes paraît “en l’état insuffisante”, déplore-t-il, d’autant que l’augmentation des tarifs d’autoroutes a été justifiée notamment par la nécessité de répondre à la demande d’aires. Les mesures de limitation de vitesse en milieu urbain, de création de zones de circulation restreinte, de vignettes pour déterminer le niveau de pollution des véhicules “si elles sont parfois contestées (…) contribueront très certainement à l’amélioration du parc automobile autant que le bonus-malus”, se félicite le rapporteur.

 

Economie circulaire : de nouvelles pistes

Sur les 33 articles du titre IV portant sur l’économie circulaire, 22 sont directement applicables. S’il procède à quelques prohibitions dont celle, emblématique, des sacs et ustensiles plastiques, ce volet s’inscrit plutôt dans “une démarche de droit souple incitant de manière non directive à des comportements vertueux”, souligne Sabine Buis. “Peut-être sur certains points la loi gagnerait-elle à définir, prohiber ou à permettre des sanctions adaptées.” Le rapport ouvre des pistes en la matière. La rapporteure se félicite en particulier de la bonne mise en œuvre de la REP pour la reprise des bouteilles de gaz “sur laquelle la mission avait des inquiétudes”. La mission émet en revanche des regrets sur le report “nullement justifié” du système de REP applicable aux navires de plaisance. De même sur l’éco-contribution des éditeurs de presse, Sabine Buis craignant que l’ensemble de la presse finisse par être exonérée en fonction de critères jugés contestables. Sur le sujet de la reprise des déchets de construction, la mission fait également part de son souhait de voir évoluer le texte “pour que la mutualisation des aires de reprise des déchets du BTP soit organisée”.

 

Retard de la PPE : une “occasion manquée” 

Mais la critique principale de la mission s’adresse au feuilleton de la publication de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), “dont on a fait à tort le pilier de l’application de la présente loi”, relève le rapporteur de l’opposition, Julien Aubert. Analyse partagée par Jean-Paul Chanteguet (rapporteur du titre VIII sur la programmation énergétique) qui reconnaît que “les retards qui ont marqué le processus d’examen de la PPE ont à leur tour entraîné des applications différées de certains éléments de la loi”. Son caractère réglementaire, privant le Parlement d’un examen, est remis en cause par la mission. Véritable feuille de route énergétique, ce document hybride destiné à compléter la loi “finit, à condition qu’il sorte, par être bien décevant”. Force est de constater que le titre VI ne bouleverse pas non plus les conditions de fonctionnement des centrales nucléaires. L’application de la loi et la PPE représentent donc “une occasion manquée” de clarifier les choix futurs, juge la mission, en particulier en détaillant mieux comment la France entend réduire de 75 à 50% d’ici 2025 la part du nucléaire dans le mix énergétique. Faute d’évaluations fiables du coût global d’indemnisation et de démantèlement de chaque centrale, le rapport appelle à confier cet arbitrage à un organisme paritaire indépendant. Planifier les décisions à plus long terme et élargir le champ du droit d’initiative citoyenne pour qu’un débat soit organisé “sans doute à l’échelon régional qui semble le plus pertinent” font également partie des préconisations.

 

Energies renouvelables

Marie-Noëlle Battistel est quant à elle intervenue sur les titres I (objectifs de la transition énergétique), V (énergies renouvelables) et VII (efficacité et compétitivité). Sur le développement des énergies renouvelables, l’énergie photovoltaïque offre les perspectives les plus prometteuses. Une partie importante du rapport est aussi consacrée à l’hydroélectricité “la plus compétitive du mix énergétique”, souligne la rapporteur. La mission est favorable au regroupement des bassins et à la méthode du “barycentre”. Quant à la méthanisation, le rapport reconnaît que la France “part de très loin tandis que d’autres pays européens se sont engagés plus nettement sur cette voie (…), il faut multiplier par quatre la puissance installée d’ici 2020”. Difficile également de conclure que la loi marque une réelle impulsion en matière d’éolien : “La production a certes augmenté ; malgré tout, l’éolien a du mal à s’imposer, notamment par rapport à l’acceptabilité sociale et pour des raisons tenant aux difficultés d’implantation”.
L’aspect financier est tout juste évoqué. “Les leviers sont très peu situés dans le champ fiscal mais essentiellement dans le domaine économique”, remarque Marie-Noëlle Battistel. Pour conclure son intervention, la rapporteure fait également part de trois suggestions : revoir la définition des cours d’eau, prévoir une cartographie précise et réviser le classement des cours d’eau à chaque révision de Sdage ou de Sage ; revoir les conditions d’indemnisation des dommages miniers ; prévoir un débat annuel au Parlement sur les questions énergétiques.
Le rapport comporte enfin de nombreuses propositions pour faciliter la réussite de la transition énergétique outre-mer, notamment en confortant les agences locales de l’énergie.

Laisser un commentaire