Par un arrêt du 12 avril dernier, le Conseil d’Etat vient de rejeter le recours, émanant d’associations de protection de l’environnement, de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale ainsi que de particuliers, demandant l’annulation de l’arrêté ministériel en date du 25 juin 2010 déclarant d’utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation d’une ligne électrique aérienne à très haute tension (THT) dite Cotentin-Maine. Il s’agit, par ce projet, d’adapter le réseau de transport d’électricité à la mise en service de la future installation nucléaire de base Flamanville 3. Les requérants soutenaient notamment que le respect du principe de précaution faisait obstacle à la réalisation de la ligne THT, en raison des risques que l’opération ferait peser sur la santé des riverains du tracé. Pour rappel, ce principe à valeur constitutionnelle est consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement, et, au niveau législatif, par l’article L.110-1 du Code de l’environnement. A l’occasion de cette affaire, la Haute Juridiction a précisé les modalités de son contrôle du respect du principe de précaution par l’autorité administrative amenée à décider de l’utilité publique d’un projet.
Portée du principe de précaution
Le Conseil d’Etat confirme la large portée de ce principe qui “doit jouer tant en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement que de risque d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé”. Il affirme par ailleurs “qu’une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement être déclarée d’utilité publique”. Saisie d’une demande tendant à ce qu’un projet soit déclaré d’utilité publique, l’autorité compétente de l’Etat doit dès lors respecter trois étapes.
Il lui appartient tout d’abord de “rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque qui justifierait, en dépit de son caractère hypothétique en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution”, précise le Conseil d’Etat dans son communiqué. Dans l’affirmative, elle devra “veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en oeuvre”. Enfin, l’autorité compétente devra vérifier que les mesures de précaution ne soient “ni insuffisantes, ni excessives, en prenant en compte, d’une part, la plausibilité et la gravité du risque, d’autre part, l’intérêt de l’opération”.
Balance des avantages et des inconvénients du projet
Opérant son contrôle lors d’un litige, le juge administratif doit ainsi “vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée”, puis “s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en oeuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution”. Dans l’hypothèse où cette étape ne conduit pas à une censure de la décision litigieuse, il lui appartient de contrôler l’utilité publique du projet “en mettant en balance ses avantages et ses inconvénients”. Le cas échéant, il convient “de prendre en compte, au titre des inconvénients, le risque tel qu’il est prévenu par les mesures de précaution, les inconvénients d’ordre social pouvant résulter de ces mesures et le coût financier de celles-ci”, indique la Haute Juridiction.
Faisant application de ces principes au cas d’espèce, le Conseil d’Etat reconnaît que “l’existence d’un risque accru de leucémie chez l’enfant en cas d’exposition résidentielle à des champs électromagnétiques de très basse fréquence devait, bien qu’aucun lien de cause à effet n’ait été scientifiquement démontré, être regardée comme une hypothèse suffisamment plausible, en l’état des connaissances scientifiques, pour justifier l’application du principe de précaution”. Toutefois, “des procédures d’évaluation du risque adéquates ont été mises en oeuvre” (dispositifs de surveillance, mesure des ondes électromagnétiques par des organismes indépendants, suivi médical…), estime-t-il.
Par ailleurs, les mesures de précaution retenues (information du public, tracé minimisant le nombre d’habitations proches et évitant tout établissement accueillant des personnes particulièrement exposées, engagement de rachat des habitations situées à moins de cent mètres de la ligne) “ne sont pas manifestement insuffisantes pour parer à la réalisation du risque éventuel”. En outre, une fois ces mesures de précaution mises en oeuvre, ni les inconvénients du projet pour les riverains, ni l’impact visuel des ouvrages sur les paysages traversés, ni leurs éventuels effets sur la faune et la flore, ni enfin le coût de ces mesures ne sont de nature, aux yeux du juge, à priver le projet de son utilité publique.