Par la voie d’une ordonnance de référé rendue le 11 juillet, le Conseil d’Etat vient de suspendre dans sa totalité le décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments publics et privés à usage tertiaire. Cette mesure phare de la loi Grenelle 2, renforcée par la loi de Transition énergétique, se voit donc fragilisée dans ses fondations dans l’attente d’un jugement sur le fond. Par une première ordonnance datant du 28 juin (lire notre article ci-dessous), la Haute Juridiction avait déjà partiellement donné gain de cause aux trois organisations professionnelles – le Conseil du commerce de France (CdCF), l’association Perifem et l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) – à l’origine du recours en urgence, en suspendant les dispositions du décret qui faisaient obligation, au 1er juillet 2017, de produire des études énergétiques et des plans d’actions pour chacun des bâtiments assujettis (dont les bâtiments publics à usage tertiaire). Par cette seconde ordonnance, le Conseil d’Etat ordonne la suspension des autres dispositions du décret, notamment celles obligeant à réduire les consommations énergétiques de 25% d’ici le 1er janvier 2020, à travers la réalisation de travaux dédiés. Le juge des référés a en effet jugé qu’étaient pleinement remplies les deux conditions cumulatives de la suspension.
Délai excessivement contraint
Tout d’abord, plusieurs des critiques formulées par les fédérations professionnelles dans leur recours “sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ce décret”, relève-t-il. En particulier, ce texte ne pouvait, “sans méconnaître l’article L. 111-10-3 du code de la construction et de l’habitation, imposer une obligation de réduction de 25% de la consommation énergétique des bâtiments d’ici 2020, dès lors que la loi impose un délai de cinq ans entre la publication du décret d’application de cet article et la date à laquelle les obligations de performance énergétique doivent être respectées”. Selon le Conseil, en laissant un délai excessivement contraint pour atteindre un tel objectif, le décret attaqué “porte atteinte au principe de sécurité juridique”. Par ailleurs, le gouvernement “ne pouvait légalement (…) n’inclure dans son champ que certaines catégories de bâtiments relevant du secteur tertiaire et s’abstenir de moduler les obligations mises à la charge des propriétaires ou des bailleurs en fonction de la destination des bâtiments”. Quant à la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension, elle est également “remplie”. Sur ce point, le Conseil relève que les assujettis sont en pratique tenus, pour espérer atteindre en 2020 le seuil réglementaire, d’engager dès maintenant des études et des travaux et ce dans l’ignorance du seuil alternatif exprimé en Kwh/m2/an qui doit être précisé par arrêté ministériel.
Décision au fond en attente
Le Conseil d’État devrait se prononcer sur le fond dans les prochains mois. Le CdCF, Perifem et l’Umih ont en effet également formé un recours en annulation à l’encontre du décret litigieux. Cette annulation, que les trois fédérations appellent de leurs voeux, doit conduire “à l’élaboration de nouveaux textes, en veillant à y associer toutes les parties prenantes (dont le commerce et l’hôtellerie)”, insistent-elles dans un communiqué commun. Pour le président du Plan Bâtiment Durable, Philippe Pelletier, le constat est tout autre : “quel gâchis !”, regrette-t-il. Si cette obligation légale est née sans concertation préalable, sa traduction réglementaire a fait l’objet d’une “très large” consultation, rappelle-t-il. C’est précisément ce parcours “trop long qui est venu mécaniquement raccourcir le délai laissé aux acteurs pour satisfaire la première échéance à 2020, suscitant ainsi les premières réticences”. Pour le Plan Bâtiment Durable, il est toutefois “indispensable que la dynamique de rénovation du parc tertiaire public et privé ne soit pas mise à l’arrêt par la suspension du décret”.