Dans quel climat s’ouvre ce 77ème congrès et cette période marquée par les annonces du président Macron lors de la première Conférence nationale des territoires ?
Le climat est à l’inquiétude. Nous entrons dans une phase d’attentisme suite aux annonces faites par le nouveau gouvernement. Suppression progressive de la taxe d’habitation, réduction du nombre d’élus locaux, décorrélation du point d’indice qui fait courir le risque d’une fonction publique à plusieurs vitesses et d’une territoriale au rabais… Face aux effets d’annonce, la vigilance est de mise. Lancer de grandes idées, c’est bien, mais il faut veiller à sonder avant de les énoncer leurs impacts sur le monde territorial. Il faut plus d’études d’impacts : c’est en substance le message que je viens de délivrer au cabinet du ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin, qui promet à la rentrée des États généraux du service public pour cerner les missions des agents et les besoins des effectifs. Nous sommes conscients que le mouvement de rationalisation des dépenses publiques va se poursuivre et continuer d’impacter les finances des collectivités. Mais gare aux fausses bonnes idées et au manque d’un réel projet enthousiasmant. Les précédents gouvernements ont tenté de réaffirmer une volonté décentralisatrice. On a l’impression que tout cela est fini. Que le grand soufflé décentralisateur est retombé.
Que pensez-vous de cette autre annonce, le projet de création d’une agence nationale de la cohésion des territoires ?
Pourquoi pas, sur le modèle de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), créer cette agence d’un type nouveau et qui viserait à lutter contre la fracture territoriale ! Reste à voir ce qu’on y met, quelles seraient ses compétences et comment elle travaillerait. Rien n’est dit sur ses capacités financières. Les questions longtemps délaissées de la ruralité, des territoires périphériques et du manque d’ingénierie publique se posent en tout cas au plus haut point. En milieu rural, des pans entiers de service public ont disparu. Il ne reste parfois que le maire sur des territoires de grande superficie. Si ces questions intéressent les directeurs généraux de services (DGS), c’est qu’ils n’exercent pas seulement dans de grandes ou moyennes villes, mais dès qu’une commune est peuplée de plus de 2 000 habitants. En deçà de ce seuil, c’est le secrétaire de mairie qui tient cette fonction. Dans ces communes rurales de petite taille démographique, les DGS sont confrontés au quotidien à l’inquiétante dilution des services publics.
La possibilité laissée depuis peu par la loi à ses communes de se regrouper, pour aller au bout des logiques de mutualisation ou dépasser les fractures territoriales, est-elle signe d’espoir ?
C’est une maigre lueur mais il faut reconnaître que l’initiative fut la bienvenue et se retrouve couronnée d’un véritable petit succès ! Qui reste à mon goût trop modeste. La démarche de regroupement est trop peu connue et médiatisée, il faudrait la valoriser. Car c’est en soi une petite révolution territoriale qui – point essentiel – est issue de la libre volonté des maires. Plus d’un millier de communes ont fusionné et 500 communes nouvelles ont été créées : ce n’est pas rien !
L’annonce d’une couverture en haut et très haut débit de l’ensemble du territoire fin 2020 paraît également ambitieuse. L’est-elle trop ?
Dès lors que l’opérateur historique (France Télécom-Orange, ndlr) estime que techniquement cela n’est pas faisable, on peut émettre des doutes sur la faisabilité de l’objectif. Plus globalement, Territorialis fera la part belle cette année à l’innovation numérique. Un atelier y sera notamment consacré à la transformation numérique des relations entre collectivités et usagers. La mue se fait à deux niveaux. Dans les pratiques internes des collectivités, où l’immédiateté propre au numérique modifie les manières de travailler, de manager, bouscule le rythme décisionnel voire la conception des projets. Mais aussi dans les relations entre les habitants, leur élus ainsi qu’avec l’administration. S’il est mal utilisé, le numérique n’a pas que des vertus. Les cadres dirigeants ont besoin d’être accompagnés. N’étant pas un centre de formation, nous les orientons vers des organismes qualifiés comme le CNFPT.
Faut-il faire évoluer le statut des cadres territoriaux ?
Pour ce qui nous intéresse, étant un un syndicat représentatif des cadres A, c’est un statut qu’on peut bien entendu toujours faire progresser. Nous ne sommes pas opposés à y introduire plus de souplesse. Mais défendons avant tout son maintien. Et restons aussi attachés au principe d’un accès par la voie du concours administratif. Le recours aux contractuels est une bonne chose pour des besoins précis ou ponctuels. Mais on ne bâtit pas une fonction publique sur des contractuels ! Dans la loi Sauvadet, il fut question d’ouvrir des emplois fonctionnels à des experts ou chefs de projets, comme cela se pratique dans la fonction publique d’État. Cela aurait pu constituer une évolution intéressante. Mais le décret d’application est resté lettre morte.
Le rétablissement du jour de carence pour les fonctionnaires est-il en odeur de sainteté dans les rangs de vos adhérents ?
Notre syndicat n’y est pas forcément opposé. Dans le secteur privé, l’employeur peut ou non le compenser. Il serait pertinent de laisser à la collectivité le libre choix de faire de même.
Le mal-être chez les fonctionnaires est-il une préoccupation croissante ?
Le mal-être – tout comme le bien-être au travail – sont deux réalités qui nous interpellent et que nous traitons en lien avec des associations et professionels sensibilisés. La conduite du changement peut être facteur de stress et de démotivation. Et nos métiers sont exposés aux pressions des usagers. Avoir le sens du service public ne suffit parfois plus pour tenir le coup. Il est alors temps de le réanimer, de redonner du sens à nos métiers et de réels moyens pour lutter contre le mal-être au travail.
Comment a évolué ces dernières années le métier de DG de collectivité ?
Il s’est enrichi tout comme s’est s’enrichie l’action des collectivités qui est devenue multiforme et multiactivités. Avec la réforme territoriale, la réorganisation des compétences et la montée en puissance de l’intercommunalité, le changement se joue dans le contenu du métier. Le métier de DG d’intercommunalité a pris de la consistance. Au fond, la base du métier ne change pas et repose toujours sur du management, de l’expertise et du conseil aux élus. Mais les contenus, eux, diffèrent selon les collectivités où l’on exerçe.
Nouvelles mobilités, aménagements urbains exemplaires, économies d’énergie : l’approche environnementale est au coeur des grands projets que les DG portent. Dans le tandem formé avec l’élu, est-ce synonyme de nouvelles compétences à développer ?
Ce n’est pas réellement nouveau mais la tendance est en effet constante. Les questions environnementales sont désormais gravées dans l’ADN de ce métier. Si les élus sont peu moteurs sur ces sujets, c’est à la direction générale de les éclairer et de servir de fer de lance. Mais ne nous voilons pas la face, c’est parfois l’inverse, ce sont alors les élus qui poussent et font bouger l’administration.
Mécenat, sponsoring, crowdfunding… Ces nouveaux modes de financement font l’objet d’un atelier à Territorialis. Croyez-vous en leur potentiel ?
Ce sont des solutions ponctuelles de financement à développer. Mais elles ne règlent en rien le problème de financement pérenne des collectivités pour l’ensemble de leurs missions. Il serait nécessaire de porter sur la place publique un nouveau débat sur les finances locales.