En mars 2012, le ministre chargé de l’agriculture a suspendu par arrêté la mise en culture des variétés de semences de maïs MON 810. Cette variété de maïs génétiquement modifiée en vue de lui donner une plus grande résistance aux insectes et bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché européen depuis 1998, avait déjà fait l’objet d’une suspension puis d’une interdiction de mise en culture en France. Le Conseil d’Etat avait alors, à la lumière des réponses à ses questions préjudicielles de la Cour de justice de l’Union européenne, annulé ce moratoire (CE, 28 novembre 2011, SOCIETE MONSANTO SAS et autres, n°s 313605 et autres et n° 312921).
Le Conseil d’Etat s’est donc prononcé jeudi 1er août, sur la légalité de l’arrêté du ministre de l’agriculture du 16 mars 2012 suspendant la mise en culture des variétés de semences de maïs génétiquement modifié Zea mays L. lignée MON 810.
Erreur manifeste d’appréciation du ministre
Rappelant que selon l’avis du 8 décembre 2011 de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) sur lequel s’était notamment fondé le ministre pour suspendre la mise en culture de maïs MON 810, « lorsque des mesures de gestion du risque appropriées sont mises en place, le maïs génétiquement modifié MON 810 n’est pas susceptible de soulever davantage de préoccupations pour l’environnement que le maïs conventionnel », le Conseil d’Etat considère que le ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation « en estimant qu’il apparaissait nécessaire, au regard de l’avis du 8 décembre 2011 de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), dont il ne résulte pas que le maïs MON 810 présenterait un risque important pour l’environnement, qui ne fait état d’aucune urgence et qui n’adresse aucune recommandation à la Commission, de suspendre ou de modifier d’urgence l’autorisation de mise sur le marché du maïs MON 810 ».
Non respect des conditions pour la prise de mesures conservatoires
Selon le règlement (CE) n° 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, un Etat membre peut prendre des mesures conservatoires au motif qu’un produit est « susceptible de présenter un risque grave pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement » lorsqu’il a informé officiellement la Commission de la nécessité de prendre de telles mesures et que celle-ci n’a pas agi.
Dans ce cas, l’Etat doit démontrer, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement , et ce risque doit être constaté sur la base d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables.
Le Conseil d’Etat constate que ces conditions ne sont pas remplies : plusieurs études ont conclu à l’absence de risque important pour l’environnement ou à la nécessité de mener des études complémentaires mais sans pour autant conclure à l’existence d’un risque. La seule circonstance que la Commission européenne n’ait, à la suite de l’avis émis par l’AESA, pas imposé la mise en oeuvre de mesures de gestion telles que celles préconisées par cet avis n’est pas, par elle-même, de nature à établir l’existence d’une situation d’urgence et d’un risque important mettant en péril de façon manifeste l’environnement.
Respect du principe de précaution
Enfin, le Conseil d’État a jugé que les conditions de mise en oeuvre, par les Etats membres de l’UE, des mesures conservatoires à l’égard d’aliments génétiquement modifiés pour animaux qui ont été autorisés par la Commission européenne ne méconnaissent pas le principe de précaution, tel qu’il est garanti par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et l’article 5 de la Charte de l’environnement.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives, lorsqu’il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait.
L’article 34 du règlement (CE) n° 1829/2003, tel qu’interprété la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Monsanto SAS et autres (8 septembre 2011, C-58/10 à C-68/10), n’impose pas aux autorités compétentes pour adopter des mesures d’urgence d’apporter la preuve scientifique de la certitude du risque, mais de se fonder sur une évaluation des risques aussi complète que possible, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce. L’interdiction d’adopter des mesures de protection relatives à un produit autorisé en se fondant sur une approche purement hypothétique du risque, fondée sur de simples suppositions scientifiquement non encore vérifiées résulte de l’interprétation même du principe de précaution donnée par la Cour de justice.