Ce 9 février, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) a livré un éclairage instructif sur la libéralisation des services ferroviaires grandes lignes concocté par Michel Quidort, un expert du secteur fraîchement élu à la tête de la fédération européenne des voyageurs (dont la Fnaut est membre). Son étude d’une soixantaine de pages s’appuie sur des contributions extérieures dont celle de Régions de France (incluse en annexe). Elle vise aussi à tirer des enseignements des pays voisins en vue de “guider les pouvoirs publics français pour y faire de l’ouverture à la concurrence une opportunité d’améliorer le fonctionnement du secteur ferroviaire dans son ensemble et au profit de tous”.
Deux approches, deux visions
Pour planter le décor, cette étude rappelle que deux voies sont possibles pour ouvrir le marché du transport ferroviaire. D’un côté, la concurrence régulée par voie de délégation de service public, une procédure nécessitant “un appel d’offres compétitif assorti d’un cahier des charges stipulant les obligations de service public à respecter par l’entreprise retenue”. Autrement dit un système de “franchise” – par analogie avec la solution qui domine en Grande-Bretagne, où 98% du réseau est géré par une vingtaine de franchises attribuées après appels d’offres lancés par le ministère des Transports. Connu pour avoir été “le plus loin pour rendre le marché contestable” et démantelé son opérateur historique (British Railways), le Royaume-Uni l’est moins pour sa “régulation économique forte” instaurée tant pour gérer les appels d’offre que les conditions d’accès au réseau. De l’autre, il y a le modèle d’ouverture à la concurrence non régulée, dite en “open access”, avec des services exploités “sur une base uniquement commerciale et aux risques et périls de l’exploitant”. Le quatrième paquet ferroviaire européen adopté fin 2016 limite ce mode de concurrence aux services commerciaux. En France, les lignes TGV, Thalys (voir photo) et Eurostar, le Thello de nuit Paris-Venise et le Thello de jour Marseille-Nice-Milan sont exploités en open access, une pratique courante sur les grands corridors et trains de nuit internationaux, “un marché de niche avec un modèle économique plus fragile mais qui peut attirer”.
Quel entre-deux possible ?
Au niveau européen, l’étude cite une répartition moyenne de l’exploitation pour 70% en franchises et 30% en open access. Mais l’open access cristallise les inquiétudes. Par exemple, le syndicat Unsa-Ferroviaire estime, tel qu’on le lit en annexe de l’étude, qu’il mettrait en péril l’équilibre économique de SNCF Mobilités et provoquerait un abandon des dessertes fortement déficitaires.Dans leur proposition de loi sur l’ouverture à la concurrence déposée au Sénat en septembre dernier, Hervé Maurey (UDI) et Louis Nègre (LR) craignent également que des services aujourd’hui non conventionnés (les TGV) en pâtissent alors même qu’ils sont jugés “indispensables à l’aménagement du territoire”. Les sénateurs proposent d’encadrer l’open access et que l’accès au réseau des entreprises ferroviaires soit rendu possible conformément au droit européen mais suspendu “à la condition que ces services ne soient pas susceptibles de compromettre l’équilibre économique d’un contrat de service public”. L’étude de Michel Quidort, s’appuyant sur le droit européen sur le sujet, estime que la directive de gouvernance du quatrième paquet ferroviaire prévoit cette possibilité de limite “par l’autorité compétente” du droit d’accès.
Des modèles complémentaires
Et la Fnaut apaise les craintes. Janus aux deux visages, l’open access peut certes déstabiliser mais aussi dynamiser : “Dans un système ferroviaire largement contractualisé, il peut être utile d’instiller un aiguillon pour stimuler les exploitants et leur éviter de s’endormir sur leurs droits exclusifs”. L’open access préserverait ainsi “une marge d’initiative”, “un espace d’initiative et de liberté commerciale” face aux franchises qui tendent à “verrouiller le système pour la durée du contrat”. La Fnaut préconise donc une “coexistence de ces deux modèles qui peuvent se compléter”. Quelle que soit l’option retenue par le législateur français – plutôt franchise ou open access – se posera la question de l’accès au matériel roulant, véritable “barrière d’accès au marché” et qui “suppose des investissements lourds”. Dès lors, l’étude prédit un bel avenir aux sociétés de location de matériel roulant, déjà largement répandues et utilisées en Europe. En outre, elle suggère de réfléchir à la création d’une société nationale destinée à fournir ce parc de matériel aux opérateurs en franchise, moyennant un loyer, du moins si l’autorité compétente le souhaite. Et, côté franchise, d’imaginer une structure légère de type agence dans le cas où l’État ne souhaiterait pas mettre en place une organisation lourde et jouer son rôle d’autorité organisatrice, notamment pour définir les lots, leurs cahiers des charges, lancer les appels d’offres, suivre les performances des candidats retenus et verser les compensations financières prévues. “Ce serait dans ce cas un modèle inspiré de la solution adoptée pour les trains d’équilibre du territoire (TET), et qui, selon nous, devrait être repris pour les TGV franchisés”, conclut-on à la Fnaut.
Morgan Boëdec
Photo : Crédit Thalys