Tout commence dans les salons feutrés du Ministère du Logement. Ici ce n’est pas tous les jours qu’on avoue être débordé par… un appel à projets ! Au printemps dernier, celui sur les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi) a suscité un afflux record de candidatures. Au point que l’aide prévue a été revue à la baisse pour soutenir les 273 intercommunalités retenues. “L’an dernier 200 PLUi étaient en cours, contre 500 aujourd’hui. En trois ans leur nombre a triplé. Une telle cadence dépasse nos prévisions”, admet Laurent Girometti, directeur de l’Habitat du ministère. Leur répartition n’en reste pas moins inégale sur le territoire. L’Île-de-France, la Paca et la Corse ont peu de PLUi. Un défaut de jeunesse que compense l’engouement des territoires ruraux pour cet outil qui met en commun des moyens pour planifier autrement l’urbanisation, les mutualise au sein de l’intercommunalité et permet de bénéficier de prestataires multidisciplinaires à moindre coût.
Sortir du prisme communal
Rien ne laissait présager un tel enthousiasme. Au départ, seules des collectivités pionnières s’aventuraient dans la démarche. Qui consiste à sortir du prisme communal et penser à une plus grande échelle, souvent celle d’un bassin de vie, les questions de gestion des sols, de maîtrise de l’urbanisme, de mobilité et d’habitat. Et donc à traiter dans leur globalité des problèmes qui dépassent le cadre communal mais concernent les maires : étalement urbain et désertification des centres-bourgs, entrées de villes de la “France moche” à requalifier, omniprésence de la voiture et érosion de la biodiversité, etc. “Harmoniser les politiques d’urbanisme au niveau intercommunal est indispensable pour promouvoir les stratégies environnementales”, défend ainsi le député-maire de Bar-le-Duc (Meuse) Bertrand Pancher.
Trop long, trop lent…
Si le PLUi est paré de toutes les vertus, pourquoi n’a-t-il pas décollé plus tôt ? La complexité de l’exercice, sa lenteur (3,8 ans en moyenne pour l’élaborer), la difficulté des communes à se dessaisir de l’une de leurs principales prérogatives – déterminer la vocation des terrains et les règles de constructibilité – et le risque contentieux accru par l’instabilité réglementaire ont freiné sa progression. Résultat, près d’un quart des communes sont toujours soumises au règlement national d’urbanisme (RNU), un quart sont réglées par de simples cartes communales, sans réflexion d’ensemble, “et un quart restant est sous le régime des anciens plans d’occupation des sols (POS) dont l’objectif et l’outillage étaient réglementaire et fiscal avant d’être un projet transversal, rassemblant l’ensemble des critères de développement territorial. Donc près des trois quarts des communes n’ont pas fait l’objet d’une vision transversale, prospective sur les conditions de leur développement”, déplore l’architecte Frédéric Bonnet dans un rapport remis en début d’année au Ministère du Logement.
Muscler la gourvenance
Relevant le défi, de jeunes communautés de communes ou d’agglomération comme celle d’Agen ont su ouvrir la voie et convaincre les élus de l’intérêt de cet outil de maîtrise de l’étalement urbain. Non sans forcer la main et en montrant, photos aériennes à l’appui, l’accélération du grignotage foncier sur leur territoire et l’urgence d’y remédier grâce à un outil adapté. Autre bonne élève, la communauté de communes du Val de Vienne en Limousin. Elle fête les dix ans de son PLUi, le révise, l’ajuste, vantant au passage sa portée : il aide à muscler sa gouvernance et à “dépasser une vision administrative et technocratique de l’aménagement pour tenir compte du caractère géographique et humain du territoire”, décrit le président de cette interco dans un guide fraîchement paru.
Le temps des pionniers étant fini, place à la généralisation. En renfort de la loi Grenelle 2 qui incitait sans contraindre, la loi Alur a mis le coup d’accélérateur en ciblant (article 136) ceux qui rechignent à se lancer. Et rend pressant le transfert à la fin mars 2017, sauf minorité de blocage, de la compétence PLU aux intercos (communautés d’agglomération et communautés de communes).
Un “nouveau mécano institutionnel des territoires novices”
Dès lors, la montée en charge semble inexorable. Même constat du côté du club national des PLUi qui s’attache à les valoriser : “Comme ces démarches de PLUi s’intensifient, il nous faut accompagner plus de monde, déduit Patrice Morandas, responsable planification au Cerema et partie prenante de l’animation du club. Partager plus de bonnes pratiques. Trouver des méthodologies communes. D’autant qu’avec ce nouveau mécano institutionnel des territoires novices, n’ayant ni PLU ni carte communale, vont se retrouver à gérer un PLUi. Une poignée de grands territoires de plus de 50 communes, qui avaient jusque là d’autres préoccupations, n’en sont également pas dotées. Le Cerema vient de lancer une action pour les aider en amont à se lancer ». Car sans précaution, c’est le casse-pipe assuré. Tranquilliser les élus en leur répétant qu’il ne seront pas perdants, préparer les services, informer les habitants sur le sujet sensible de l’habitat sont des jalons indispensables pour bâtir un climat de confiance.
Le retour d’expérience du Grand Poitiers est à ce titre intéressant. L’intercommunalité y est ancienne. Elle disposait très formellement d’un POS, sans réel projet de territoire. Or c’est bien cela, cette volonté, cette vision commune du développement, de l’aménagement d’un territoire, qu’il a fallu muscler avec méthode, au fil d’ateliers de réflexion, de réunions publiques puis d’orientations, d’actions d’aménagement à présenter et faire accepter dans chaque commune. Pour éviter que le débat tourne à la foire d’empoigne ou se cantonne à des propriétaires ne s’intéressant qu’à leur parcelle, il faut bien penser les cartes et mots utilisés.
Une ligne de conduite qui s’ajuste
S’emparer des outils numériques pour faciliter si besoin la compréhension de ce sujet technique mais déterminant pour l’avenir du territoire. “Il faut de la patience et déployer des trésors de pédagogie, raconte Anne Blanc, présidente de la communauté de communes du Naucellois (Aveyron) qui vient d’adopter son PLUi. Pour ne pas braquer les élus, nous avons démarré par une démarche plus douce, un Projet d’aménagement et de développement durables. Ce PADD nous a aidés à faire un diagnostic et trouver un projet commun. L’appui d’un bureau d’études a été essentiel. Nous avons ensuite consacré à plein temps un agent de la collectivité au PLUi. Ce plan a insufflé une culture urbanistique que ne possédaient pas certains élus. Il couvre aussi d’autres champs, aide à organiser les transports scolaires, la collecte des déchets, à préserver la qualité paysagère. Tout est écrit noir sur blanc et sera évalué, notamment en termes de consommation foncière”.
Crainte souvent exprimée par les maires, celle de tout figer les choses dans un document. Mais la vérité la chasse : aussi structurant soit-il, le PLUi apporte une ligne de conduite qui peut être ajustée dans le temps en fonction des évolutions du territoire. C’est même fortement conseillé.
“Notre PLUi sera bientôt approuvé. L’exercice, exigeant, représente six ans de travail, des milliers de pages noircies, un coût de 2,8 millions d’euros. Ce document unique intégrera nos politiques de déplacements (PDU) et d’habitat (PLH). Il n’a pas été imposé par le haut mais coproduit entre la communauté et la trentaine de communes de l’agglo. Plus qu’un document réglementaire, c’est un projet partagé. Pour qu’un maximum de monde se l’approprie nous avons créé, sur un mode volontaire, un collège de partenaires associés avec des représentants du monde associatif dans les secteurs de l’environnement, de la protection du patrimoine et du logement. Les sujets de friction n’ont pas manqué. J’ai bataillé pour convaincre les maires de réduire le grignotage foncier et ne pas céder à la pression de la grande distribution. Notre territoire étant aux trois-quarts agricole, les chambres d’agriculture ont aussi été un partenaire de travail essentiel”.