Entretien avec Thomas Soulier, adjoint au maire (LR), délégué aux questions de sécurité, de la ville de Mont-Saint-Aignan (Seine-Maritime), une des principales communes de la Métropole de Rouen avec une population de 19 800 habitants.
Propos recueillis par Jérôme Besnard.
Journal des communes : Les polices municipales sont-elles conduites à mener de plus en plus de missions jusque-là assurées par l’État?
Thomas Soulier : Pour commencer, j’aime rappeler que les maires possèdent des pouvoirs et surtout des obligations en matière de sécurité publique ce qui en fait des interlocuteurs incontournables pour les services de l’État. Selon moi, les polices municipales doivent rester des polices de proximité du quotidien et surtout complémentaire à la Police ou la Gendarmerie nationale qui sont les seules à posséder les capacités et les pouvoirs d’investigation et de spécialisation pour lutter contre la délinquance organisée. Cela s’explique historiquement par la particularité très jacobine des organisations policières en France. Mais pour répondre à votre question, oui, il est vrai et cela n’est pas nouveau, notamment depuis les derniers attentats, que certaines missions de proximité auparavant assignées à la Police nationale tombent de plus en plus dans les prérogatives des polices municipales. Je pense par exemple sur le plan réglementaire à l’activité de fourrière automobile, mais aussi sur le plan des problématiques du quotidien, aux incivilités de toutes sortes 1 en augmentation dans notre société (exemple les tapages nocturnes), la lutte contre les cambriolages ou encore la gestion de la délinquance chez les plus jeunes (le rappel à la loi dans le bureau du maire en présence des parents est de plus en plus conseillé par les services de l’État). Cette tendance s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, par la judiciarisation des conflits et des procédures qui encombre les commissariats (seulement 37 o/o du temps d’un policier est consacré à ses missions de terrain si l’on en croit la Cour des comptes). Ces difficultés s’accentuent également par l’évolution de la délinquance! La difficulté d’appréhender des problématiques multifactorielles et complexes laisse souvent les communes démunies face à des habitants en quête· de réponses. Pour cela, elles ont besoin de construire des partenariats sur le long terme avec l’État, ce qui demande des moyens, mais aussi du temps à ce dernier. Je pense à la problématique, dans certaines communes, de délinquants de plus en plus jeunes, à des réseaux internationaux de plus en plus étendus et réactifs, à la monté de la violence dans notre société ou encore à l’individualisme et au manque de solidarité entre nos concitoyens. Je l’ai déjà évoqué précédemment la police et la gendarmerie nationales se focalisent depuis les attentats davantage sur leurs missions premières, mais aussi pour des raisons d’effort budgétaire, décidés au plus haut sommet de l’état, il y a déjà plusieurs dizaines d’années. Et comme la nature a horreur du vide, les polices municipales se sont retrouvées moins accompagnées et parfois bien seules face à la pression des problématiques de nos concitoyens. Le sujet est complexe et le désengagement de l’État est un problème politique qui ne date pas d’hier, même si ces derniers temps, il faut le dire, il y a un rattrapage qui s’opère dans les effectifs de police et dans les politiques de soutien aux communes. Pour illustrer mes propos, je me félicite pour ma part, de ce tournant pour notre commune et des très bonnes relations que nous avons avec la direction départementale de la police nationale. Sa récente réforme (en date de février 2023) avec la création des Groupes de Sécurité du Quotidien (c’est-à-dire du retour de la police de proximité) et de sa nouvelle dynamique en matière de politiques partenariales avec les communes permet de mettre plus facilement en place des actions concrètes répondant à des problématiques de terrain. Je pense par exemple aux GPO (Groupes de Partenariat Opérationnels) qui sont, pour simplifier, des groupes de travail sur un problème particulier. Pour conclure sur cette vaste question, je dirai que la meilleure des stratégies est de mettre tout le monde au tour de table dans une vraie volonté d’agir ensemble pour nos concitoyens. Car les élus locaux ont besoin de l’État, mais l’État a besoin aussi des élus locaux!
JDC : Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, comment les communes gèrent-elles ces surcroîts d’investissements et de dépenses de fonctionnement relatifs à la sécurité?
TS : Selon moi, il est important en ces périodes de contexte budgétaire contraint, de définir avec précision ses objectifs politiques en lien avec les besoins et la vision des élus de sa commune. Les communes le savent, une analyse des problématiques peut être réalisée avec les services de l’État et la police municipale. Le plus important étant d’apporter une réponse pertinente et réaliste à son territoire. La surenchère ou l’aveuglement n’a aucun intérêt sur le long terme! Aujourd’hui pour les communes, le sujet d’investissement numéro un en matière de sécurité est surtout le développement de la vidéoprotection. Concernant ce sujet, il faut le dire, il y a de nombreuses subventions possibles qui permettent un bon niveau 1 de financement. Je pense aux DETR, FIPD, FSIC (métropole ou intercommunalité), les fonds du département etc. Sur le fonctionnement, tout dépend des besoins en personnel et/ou en matériel des équipes, le but étant qu’elles puissent assurer leur mission en toute sécurité. Il est également possible d’avoir des financements comme pour les gilets pare-balles (FIPD). Les élus en charge de la sécurité de leur commune savent aller chercher les financements et l’accompagnement nécessaire dont ils ont besoin.
JDC : Les police municipales doivent-elles selon vous disposer à terme de réelles compétences juridiques?
TS : C’est à mon avis le sujet qui doit évoluer le plus dans les années à venir, avec le développement des intercommunalités ou des Conseils intercommunaux de Sécurité et de Prévention de la délinquance (CLSPD), il me semble nécessaire que le statut de nos policiers municipaux doit évoluer avec leurs responsabilités nouvelles. Je pense à la possibilité de réaliser des « contrôles d’identité» au lieu de réaliser des « demandes d’identités», ce qui permettra dans certains secteurs tendus d’aider les forces de police municipales sans se faire accompagner d’un OPJ de la police nationale. ~accès aux informations sur les communes est également un sujet sensible, du jour au lendemain un Directeur départemental de la sécurité publique peut couper la diffusion des informations. Il faudrait, selon moi, définir un cadre minimum qui n’entrave pas le secret de l’instruction, mais qui permet aux polices municipales d’effectuer leur travail et aux élus de comprendre l’évolution de la délinquance sur leur territoire et de manière continu dans le temps. Je pense, pour illustrer mes propos, aux numéros de rue dans le cadre des vols par effraction ou des statistiques globales en matière de délinquance sur un territoire communal ou intercommunal. Pour notre part, à Mont-Saint-Aignan, ces éléments se mettent en place, mais il serait judicieux de les inscrire dans le marbre pour toutes les communes de France.
,, Les élus locaux ont besoin de l’État, mais l’État a aussi besoin des élus locaux!,,
JDC : Et pour ce qui est de l’armement des polices municipales?
TS : Concernant l’armement, c’est un sujet qui fait traditionnellement débat, mais qui est pour moi incontournable face à l’augmentation des phénomènes d’ultraviolence dans notre pays. Nous ne devons pas jouer avec la sécurité des agents et ce, même dans les secteurs dits« calmes», mais aussi pour qu’ils puissent susciter le respect et l’autorité nécessaire sur la voie publique. Pour cela, ces nouvelles autorisations juridiques ne doivent pas être un prétexte supplémentaire pour un désengagement de l’État, mais plutôt d’une aide à la montée en compétences des polices municipales, afin qu’elles deviennent dans le cadre de leur particularité territoriale la troisième force de police du pays.