Le constat fait consensus : d’année en année, le modèle économique des ports français s’étiole. Au conseil scientifique de l’association TDIE (Transport, développement, intermodalité, environnement), qui a publié le 11 octobre un rapport sur le sujet à l’occasion d’un colloque à Paris, on résume en de simples mots cet enjeu bien évidemment technique et complexe. Vite passés d’une économie de rente pétrolière à une logique de conteneurisation, les grands ports maritimes français ont du mal à se projeter dans l’avenir et à rester dans la course face au centre de gravité des ports d’Europe du Nord – l’axe Anvers-Amsterdam-Rotterdam-Hambourg – qui attirent la majorité des trafics, acteurs et investissements du secteur.
Faiblesses contre atouts
Face à ces ports du nord européen concentrant une large partie des flux maritimes et assurant l’importation et l’exportation des marchandises vers ou à partir de l’Europe, l’Etat, les Douanes, les acteurs portuaires et les élus français semblent échaudés comme jamais pour garder la tête haute. Les crises, c’est bien connu, offrent parfois l’opportunité de resserrer les liens et de faire bouger les lignes. “Le moment est venu. C’est une nécessité car le système tremble sur ses bases. Les ports restent des lieux industriels de première importance, des outils de développement économique. Le secteur énergétique y reste très largement représenté. Et ils disposent d’importantes réserves foncières. La création de richesses et d’emplois y est possible. Par leur biais on peut réindustrialiser le territoire. Développer l’économie circulaire. Mais pour cela le modèle économique des ports français doit être renforcé”, presse l’ingénieur général des Ponts et Chaussées Claude Gressier, membre du conseil scientifique de TDIE. Endettement important, lourdeurs administratives, tarifs élevés, chute des aides de l’Etat au dragage plombant un peu plus leurs finances, manque d’efficacité commerciale et de stratégie de valorisation domaniale… : les obstacles à leur compétitivité sont nombreux.
Chasser en meute
En termes de trafics, la reconquête de l’hinterland reste un défi majeur. L’hinterland domestique des ports français est trop faible : “Celui d’Anvers dessert une partie du nord-ouest de la France alors que celui du port du Havre a du mal à se projeter au-delà de l’Ile-de-France (…) Pire, avant d’être concurrents des autres ports européens, les ports français le sont parfois entre eux !”, poursuit-on chez TDIE. La connexion à cet hinterland dans les ports du Nord, véritables portes d’entrées de l’Europe, est autrement plus efficace qu’en France, où quatre axes logistiques sont à remuscler. Ces quatre axes Seine, Rhône-Méditerranée, Atlantique et Nord viennent de faire l’objet de quatre missions d’étude conduites par des binômes parlementaires. Ils ont conclu l’été dernier à un potentiel de développement considérable et des chantiers nombreux à mener, impliquant notamment les acteurs locaux et cles ollectivités. Il reste donc un espoir. TDIE y croit aussi, soutient ces conclusions et ajoute l’idée de généraliser – comme cela existe pour l’axe Seine – la nomination pour les trois autres d’un délégué interministériel afin de gagner en cohésion et en efficacité.
Devenir une cause nationale
Les acteurs portuaires déplorent l’absence de portage politique de ces sujets. Pourtant certains signes laissent à penser qu’un retour à l’agenda politique n’est pas totalement illusoire. Avec les nouvelles compétences que leur ont octroyées les lois Maptam et Notr, mais également celle sur l’économie bleue, les Régions et leurs présidents sont “appelés à jouer dans un futur proche un rôle plus important dans les ports”, poursuit-on chez TDIE. “Il faut s’en saisir et redonner à l’axe Seine un souffle politique, porté par une figure régionale. C’est le cas chez nos concurrents européens. Par exemple le port de Hambourg est avant tout l’affaire de la ville-Land”, illustre Hervé Morin, à la tête de la région Normandie.
Une chance à saisir
“Les régions commencent à se saisir de leur compétence portuaire, c’est une bonne chose. Dans la mienne je constate que les ports sont inclus dans une stratégie régionale et qu’ils ont nettement renforcé leurs complémentarités”, rebondit Sébastien Pilard, conseiller régional des Pays de la Loire en charge de la croissance bleue et du développement international. Même si cette région a laissé aux conseils départementaux le soin de gérer la quinzaine de petits ports locaux, elle s’implique via le volet portuaire du contrat de plan Etat-Région, dans la dynamique du grand port maritime de Nantes Saint-Nazaire. “Il faut lui trouver un nouveau modèle économique. Sinon sa pérennité n’est pas garantie. Et régler le volet social, qui est au cœur de notre manque de compétitivité. La gouvernance des grands ports doit également intégrer les opérateurs et investisseurs privés qui lui apportent de la croissance”, ajoute l’élu. Cette idée d’un renforcement du pilotage régional est aussi suggérée par le sénateur (LR) de la Gironde Gérard César dans son rapport sur les ports de la façade Atlantique (proposition 7). Le parlementaire y propose que la gouvernance des ports de La Rochelle et de Bordeaux soit rapprochée et coiffée par une holding gérée par la région.
Mettre dans la boucle les métropoles
Autre point de vue intéressant les collectivités, celui de Marc Reverchon, qui préside le conseil de développement du grand port maritime de Marseille : “Pour renforcer les écosystèmes portuaires, il faut agir à la bonne échelle. Le vrai défi est de bâtir de bons plans d’actions entre les collectivités, les institutionnels et les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés. Associer la métropole à la réflexion portuaire, pour mieux organiser les dessertes terrestres et les zones logistiques, est ainsi un choix clairement assumé à Marseille.”