Conseiller municipal de la ville de Sézanne (Marne), Vincent Léglantier est secrétaire général de l’Association nationale des élus de la vigne et du vin (ANEV), coprésidée par la sénatrice Nathalie Delattre (Gironde) et le député Didier Paris (Côte d’Or). Il également président de section locale et administrateur du Syndicat général des vignerons de la Champagne.
Propos recueillis par Jérôme Besnard.
Journal des Communes : Pouvez-vous nous présenter l’ANEV?
Vincent Léglantier : L’.ANEV, pour Association Nationale des Élus de la Vigne et du Vin, est une association d’élus qui réunit les collectivités territoriales, élus locaux et parlementaires des territoires viticoles. Créée en 1999 sur le modèle d’autres associations d’élus au service des territoires comme l’ANEM pour les élus de la montagne ou l’AMRF pour les maires ruraux, elle constitue le réseau des élus du vin réunis pour représenter ensemble les territoires viticoles, au-delà de tous clivages politiques et géographiques. Nous comptons 300 adhérents dont une grosse soixantaine de députés et sénateurs issus de l’ensemble des régions viticoles, de la Gironde à l’Alsace en passant par le Languedoc, la Bourgogne ou la Champagne. L’.intérêt d’une telle organisation est de s’unir pour exprimer et défendre le plus efficacement possible les intérêts des territoires que nos adhérents représentent et pour promouvoir à l’échelle nationale le dynamisme de la viticulture. Ces missions de valorisation et de défense des territoires viticoles sont complétées par notre travail « au service» des collectivités territoriales et des élus locaux adhérents à l’ANEV, avec une offre de formation, une information régulière sur l’actualité (économique, politique, réglementaire) relative 0 “‘ 1 à l’administration des territoires viticoles, et l’organisation régulière d’événements, visites et autres rencontres favorisant la concertation, l’échange et le dialogue entre les élus de la vigne et du vin membres de l’association.
JDC : Comment a évolué le dialogue entre parlementaires et élus locaux après la fin du cumul des mandats?
VL : La fin du cumul des mandats n’a pas été sans conséquence sur le dialogue entre élus locaux et nationaux, en particulier en raison de la disparition de la figure du « députémaire », ancré dans son territoire et qui le représentait au sein du Parlement. Mais il ne faut pas être caricatural: le fait que certains parlementaires ont dû abandonner leur mandat local et que d’autres sont issus de la société civile ne les empêche pas de conserver un enracinement local et une connexion au terrain. Par ailleurs, cela leur accorde plus de temps pour travailler les problématiques de fond comme celles qui peuvent toucher les territoires viticoles. Enfin, l’ANEV, comme d’autres organisations, a précisément pour rôle de compenser cet hypothétique manque de contact avec le terrain, en établissant un lien direct entre les territoires et les parlementaires, qui, de la sorte, sont toujours à l’écoute des acteurs concernés, qu’il s’agisse des élus locaux des territoires viticoles ou des professionnels de la vigne et du vin. D’une certaine façon, la fin du cumul des mandats a rendu les organisations comme l’ANEV encore plus essentielles par la contribution qu’elles apportent au dialogue entre parlementaires et élus locaux.
JDC : Quoi de commun entre un élu de terroir d’exception et celui d’une zone viticole en tension?
VL : Les élus des terroirs d’exception et ceux des zones viticoles en tensions partagent bien plus qu’on pourrait le penser. Cela commence avec la loi, qui, dans notre république, est la même dans tous les territoires. Par exemple, lorsque le Parlement adopte une loi édictant un nouveau principe d’urbanisme, comme le Zéro Artificialisation Nette (ZAN), les élus locaux de tous les territoires sont concernés. Cela peut créer des problématiques particulières à certaines zones, mais cela génère aussi des défis qui concerne l’ensemble des territoires viticoles, sans distinction de prestige, sur lesquelles l’ANEV peut se mobiliser au nom de l’ensemble des élus représentant ces territoires. De même, lorsque l’ANEV prend position pour la sauvegarde du système des droits de plantation, ou contre le soutien gouvernemental à l’opération du « mois sans alcool », cela répond à une demande partagée par l’ensemble de nos adhérents, qu’ils viennent de Champagne, du Sud-Ouest, des terroirs accueillant les plus petits domaines comme les plus grands châteaux. Enfin, si l’on considère la vigne et le vin comme un fait culturel, social et patrimonial, sa dimension nationale est indéniable. La vigne et le vin sont des ambassadeurs de la France, une richesse touristique et économique, un marqueur de nos paysages, le cœur battant de nos territoires, quelque soient les régions, et chaque élu adhérent à l’ANEV s’en fait à la fois le garant et le porte-voix.
JDC : Constatez-vous des tentations« hygiénistes» hostiles au monde viticole au niveau français et européen ?
VL : Bien entendu, malgré tout ce qu’ils apportent à notre pays, la vigne et le vin sont toujours la cible de critiques« hygiénistes». Cela se manifeste par exemple par des campagnes audiovisuelles qui ciblent le vin pour parler des dangers de l’alcool en général. En Europe, on peut voir que la politique très offensive de l’Irlande, avec l’obligation à venir d’apposer un avertissement sur les dangers de l’alcool sur les bouteilles, est validée par la Commission européenne qui n’y voit rien à redire. Les attaques sont nombreuses et à tous les niveaux. Il est donc important pour les élus de la vigne et du vin de faire entendre une autre voix, qui fait la promotion d’une consommation modérée, faisant la part belle à l’aspect civilisationnel et social de la dégustation de vin. Ce message, qui est aussi placé au cœur de l’esprit de la « loi Evin», est un message d’équilibre, qui ne ferme pas les yeux sur les dangers de l’alcool, mais qui tient aussi compte de notre histoire et de notre culture, de la place du vin dans notre société et dans nos échanges, qui ne bascule ni dans l’hygiénisme ni dans la publicité pour les boissons alcoolisées.
JDC : En quoi les viticulteurs peuvent-ils participer de la souveraineté alimentaire qui semble faire consensus chez les acteurs politiques?
VL : Il faut le reconnaître, le vin n’est pas un aliment, et donc la protection de la viticulture en France ne relève pas directement de la préservation de notre souveraineté alimentaire. Ce préalable établi, il est important de rappeler que la vigne et le vin, c’est 17 milliards d’euros d’exportation, et surtout un solde commercial de 15,7 milliards d’euros, faisant du secteur le deuxième excédent commercial de la France après l’aéronautique. En contribuant massivement à notre excé1 dent commercial, la filière viticole est, de fait, pleinement impliquée dans la préservation de la souveraineté économique et donc alimentaire de notre pays. Par ailleurs, le secteur de la vigne et du vin est stratégique du point de vue de l’emploi, puisqu’il représente plus de 500000 emplois directs et indirects, répartis dans les territoires et non-délocalisables.
La fin du cumul des mandats n’a pas été sans conséquence sur le dialogue entre élus locaux et nationaux.
JDC : Les vignes sont-elles menacées par l’étalement urbain? Le vin n’est pas un aliment et la protection de la viticulture ne relève donc pas directement de la préservation de notre souveraineté alimentaire.
VL : Si certains sujets font l’unanimité d’une région à l’autre, celui du risque que fait peser l’étalement urbain sur les vignes dépend, lui, très directement de la santé économique du vignoble local. Dans les territoires où le vignoble se contracte en raison d’une baisse de la demande, le recul de la vigne n’est pas forcément le fait de l’étalement urbain. Au contraire, cet étalement offre à certain la possibilité de quitter la profession en vendant leurs terres à des prix intéressants. Ce qui peut générer d’autres difficultés comme les tensions avec le voisinage, dont la gestion incombe bien souvent aux élus. À l’inverse, dans les bassins viticoles les plus dynamiques, où la nécessité d’étendre les surfaces en culture rentre en contradiction avec le besoin de développement urbain, celui-ci fait bien sûr peser une menace sur les vignes. D’autant plus que l’instauration des Distance de Sécurité pour les Personnes Présentes au moment du traitement et les Résidents (DSPPR) entraîne elle aussi un recul de la vigne, qui doit se tenir « à distance» des habitations et lieux accueillant des personnes. Dans ces territoires, l’ANEV est aux côtés des élus qui souhaitent apporter une solution à ces situations, avec une formation totalement dédiée aux outils d’urbanisme visant à préserver le vignoble. Nous sommes aussi très attentifs dans les débats parlementaires à toutes les propositions qui pourraient avoir pour conséquence d’amputer les surfaces viticoles, ou au contraire de les protéger et d’en favoriser le développement.