“La refondation de notre modèle de transport ferroviaire est urgente”, a déclaré le 15 février le Premier ministre lors de la remise d’un rapport très attendu sur l’avenir du transport ferroviaire élaboré par Jean-Cyril Spinetta.
“Un diagnostic complet et lucide”, juge Matignon dans son communiqué. La quarantaine de préconisations formulées sont pour la plupart très directes et ne manqueront pas de susciter des réactions. Plusieurs ont notamment trait à la gouvernance et au traitement de la dette, sujet crucial pour “exprimer la confiance de l’Etat en l’avenir du secteur ferroviaire et sa détermination à s’engager en faveur d’un projet collectif ambitieux pour la modernisation du réseau”.
Une dette non soutenable
Proposition forte : transformer SNCF Réseau en société nationale à capitaux publics, modifier son actuel statut d’Epic “qui lui permet aujourd’hui de s’endetter sans limite” et ainsi lui interdire pour l’avenir “de reconstituer une dette non soutenable”. Quelle que soit l’issue d’une telle proposition qui, comme les autres, va faire l’objet d’un examen approfondi et ouvre le bal d’une phase de concertation sur la réforme du système ferroviaire, avec des rencontres prévues avec les syndicats et la direction de la SNCF, les régions et les usagers, SNCF Réseau, ajoute ce rapport, “ne doit plus s’endetter (…) ni investir à perte (..) et les autorités organisatrices doivent assumer le coût complet des services d’infrastructure qu’elles utilisent”.
A noter, d’autres propositions ont trait à l’ouverture à la concurrence. Jean-Cyril Spinetta y voit “l’occasion de renouveler le contrat social de la SNCF” et “une occasion unique de moderniser le système ferroviaire français et de lui offrir une perspective de renouveau, à l’heure où se multiplient les innovations et les concurrents dans le domaine de la mobilité”. Des propositions portent ainsi sur l’épineux sujet du transfert des personnels dans le cadre de l’ouverture à la concurrence, ainsi que sur les modalités d’ouverture propres aux transports régionaux ou au transport longue distance.
Un système miné par ses paradoxes
Fruit d’un travail collectif, ce rapport et sa centaine de pages, dont une moitié contenant des recommandations très détaillées, ont nécessité du côté des territoires une série d’auditions avec des présidents de régions, de départements, avec des parlementaires, réseaux d’élus, associations d’usagers, représentants institutionnels, hauts fonctionnaires et bien sûr la SNCF, qui a “communiqué sans réticences toutes les données dont elle disposait”.
Il s’ensuit des constats forts, notamment sur le vieillissement du réseau ferroviaire. Malgré dix ans d’effort soutenu de rénovation, “un quart des voies sont aujourd’hui au-delà de leur durée de vie normale” (audit Rivier actualisé jusqu’en 2017 de l’EPFL Lausanne). La signalisation, “principale cause de retard liée à l’infrastructure”, les caténaires et ouvrages d’art et en terre, sont les plus touchés. La comparaison avec l’outre-Rhin a de quoi faire pâlir : “En Allemagne, les voies et appareils de voies (aiguillages) sont en moyenne deux fois plus jeunes”. Ce rapport revient, en outre, sur le coût pour les finances publiques du système ferroviaire français et l’évalue à 10,5 milliards d’euros (hors dette). “Or malgré ces contributions publiques massives, le modèle économique du système ferroviaire français demeure globalement déséquilibré et seules des hypothèses très optimistes peuvent laisser penser que la dérive sera maîtrisée à terme sans traitement de la dette et sans ajustement de la consistance du réseau.” Concours publics en croissance permanente d’un côté, sentiment de délaissement du ferroviaire de l’autre : le paradoxe est pointé “et il est unique en Europe”.
Redéploiement régional, avenir des petites lignes
L’avenir de ces petites lignes interpelle en premier lieu les régions, qui ont lourdement investi dans leur maintien et “peuvent difficilement accepter de les fermer” (lire notre encadré). Cet enjeu se retrouve d’ailleurs au coeur des contrats de plan Etat-région (CPER). Le rapport conseille de revoir ce maintien et chiffre l’économie potentielle grâce à la fermeture de ces lignes à “a minima à 1,2 milliard d’euros annuels”. Il invite au préalable à évaluer avec plus d’objectivité et de transparence la pertinence économique de ces petites lignes. Et préconise que SNCF Réseau réalise, grâce à une méthode fiable qui serait confiée à France Stratégie, un état des lieux avant l’élaboration des prochains CPER de cette “partie la moins utilisée du réseau en présentant, ligne par ligne, l’état de l’infrastructure, le besoin de rénovation et le bilan socio-économique des investissements”.
Puis, une fois cette évaluation réalisée, de redéployer la “majeure partie des sommes” consacrées à ces petites lignes “vers des infrastructures et services plus utiles à la collectivité : modernisation des grands nœuds ferroviaires, renforcement des fréquences sur les lignes les plus fréquentées”, et ce en tenant compte des “besoins croissants de mobilité autour des grandes métropoles et du besoin de rénovation et de modernisation du réseau”.
En clair, à terme, un signal doit selon ce rapport être envoyé par l’Etat “en ne consacrant dans les CPER plus aucun crédit aux lignes dont l’intérêt socio-économique n’est pas démontré”. Enfin, ce rapport suggère aussi d’assouplir la procédure juridique de fermeture de ligne, actuellement “longue et complexe”.
Morgan Boëdec
Remise du rapport de Jean-Cyril Spinetta à Edouard Philippe le 15 février 2018