Après des années de débats et de préparation, le coup d’envoi vient d’être donné le 1er janvier à la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations), désormais obligatoire pour les EPCI. Des assouplissements ont été apportés par une loi. Que pensez-vous de ces ultimes retouches ?
Cette loi portée par le député Modem du Loir-et-Cher Marc Fesneau vise à assouplir le transfert de la compétence. Sans pour autant détricoter la Gemapi. C’est peu ou prou le même esprit que partage le gouvernement. Parmi les ajustements notables que prévoit ce nouveau texte figurent la possibilité offerte à d’autres collectivités que les EPCI de continuer, après cette date butoir du 1er janvier, à exercer si elles le souhaitent certaines missions attachées à la compétence Gemapi. Ce pourrait être le cas des départements. Chez moi dans la Somme, le département est déjà partie prenante et impliqué à divers titres, notamment dans l’élaboration du schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage). Sous réserve de passer une convention avec les communautés concernées, les régions peuvent aussi poursuivre leurs engagements en matière de prévention des inondations. À mon humble avis, elles seront plus particulièrement intéressées pour s’impliquer dans l’exercice de la compétence d’animation (compétence 12) et de concertation à leur échelle dans le domaine de la gestion et de la protection de la ressource en eau.
Cette loi votée in extremis vous satisfait-elle ?
Elle reprend des revendications d’associations d’élus, même si des zones d’ombre persistent. Le texte assouplit par exemple les modalités de transfert et de délégation de la compétence Gemapi par les intercommunalités à des syndicats de communes et syndicats mixtes avec la possibilité de ne transférer qu’une partie de leur compétence, voire une partie de chacune des quatre missions constitutives de cette compétence (« sécabilité »). Mais pour la mission qui relève de la défense contre les inondations, cette « sécabilité interne » n’est pas claire : il faudrait ainsi mieux distinguer ce qui relève du maritime et du fluvial.
La loi prévoit également la remise par le gouvernement de deux rapports au Parlement dont l’un, à remettre d’ici le mois de mars, sur la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement. La répartition des compétences n’est-elle pas claire en la matière ?
Entre la mission de maîtrise des eaux pluviales et de lutte contre l’érosion des sols, il reste en effet des points à clarifier. La gestion du ruissellement n’a pas été prise en compte pour définir la compétence Gemapi. Pourtant sur le terrain, les communautés de communes endossent cette mission et on sait que ralentir des ruissellements contribue à la lutte contre les inondations. Il faut donc aider le législateur à préciser ce qu’on entend par eaux pluviales. Et régler l’obstacle du financement, par le produit ou non de la taxe Gemapi, des projets de lutte contre l’érosion des sols car cet enjeu reste pour l’instant un item à part et n’est pas rattaché à la Gemapi. Le flou persiste aussi sur l’avenir des associations syndicales autorisées (ASA). La Gemapi ne précise pas comment articuler les compétences avec ces groupements de propriétaires et de riverains, qui agissent et contribuent depuis longtemps à l’aménagement ou l’entretien des cours d’eau.
L’eau étant un sujet très transversal, vous militez de longue date pour que chaque acteur puisse intervenir et que des stratégies soient construites pour bien identifier les enjeux et être en mesure de répondre aux besoins. Les stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau (Socle) ne sont-elles pas censées répondre à cette attente ?
Avec la Gemapi, on tend vers une approche plus globale de la gestion des eaux. Le risque en transférant tant de compétences aux communautés de communes serait de voir se recréer des baronnies locales. Et de favoriser le terrain à des élus n’agissant que pour la durée de leur mandat, sans vision à long terme alors que face à ces enjeux, l’action et la réflexion demandent de se projter sur vingt ou trente ans. La mise en place de la Gemapi ayant été difficile sur les territoires, les associations de collectivités ont demandé à l’État d’élaborer dans chaque bassin une Socle. L’État a fait le job mais le sentiment général est que leur contenu reste technique et qu’il manque cette dimension stratégique pourtant essentielle pour servir d’aide à la décision aux acteurs territoriaux. Les vrais organismes de bassin et EPTB n’ont pas toujours été consultés. L’exercice a un peu déçu. Il faudra l’approfondir et le rectifier. En règle générale, dans l’eau les rapports de forces sont contre-productifs. L’État doit accompagner et les élus s’investir. Il faut moins de bras de fer, plus de cohésion et d’harmonie.
Les membres de l’association lors de l’assemblée générale constitutive le 28 mars 2017.
Pensez-vous qu’il faudra encore du temps aux élus pour s’approprier la Gemapi ?
Cela semble en effet crucial au regard des récents événements d’inondations. Il faudra du temps car la mise en place de la Gemapi s’est faite dans un contexte institutionnel tendu et un environnement bousculé par les textes législatifs. Lois Biodiversité, Maptam et Notre. Réforme territoriale, fusion des régions puis des communautés de communes et d’agglomération. Nouvelle répartition des compétences des départements… Beaucoup de choses se sont entrechoquées. Le tout dans un délai très court. Cela devient de la folie douce ! Comprenons que les élus saturent et ont du mal à digérer.
L’association que vous présidez, qui vise à fédérer et co-construire l’avenir des bassins versants, compte justement partir à l’écoute des élus locaux. Quel est son programme en 2018 ?
Si les élus des bassins versants se sont constitués en association, c’est pour partir à la rencontre d’acteurs locaux souvent motivés, passionnés, mais qui ne travaillent pas toujours en cohérence. Pour partager leurs expériences, la publication d’un livre blanc est prévue dans le courant de l’année. Les approches descendantes doivent arriver à rencontrer les dynamiques locales remontantes qui sont portées par les habitants. Il existe une flopée d’acteurs intervenant sur l’eau dans les territoires. Mais chacun est comme dans un couloir, avec ses œillères. Il faut agir comme facilitateur et penser aux élus nouveaux arrivants qui découvrent ces enjeux complexes. Outre déployer des trésors de pédagogie, il est important de mettre ces acteurs autour d’une même table et de forger des stratégies. Si cette cohérence est restaurée, les bons choix et les justes financements suivront.
L’Aneb a bien vocation à se substituer à l’Association française des établissements publics territoriaux de bassin (AFEPTB), créée il y a vingt ans par des élus des fleuves et rivières ?
L’AFEPTB est prête à se fondre dans l’Aneb, a priori d’ici la fin d’année. Les EPTB continueront à être une force active, de celle qui montre le droit chemin. Adopter un raisonnement en bassin-versant, en s’appuyant sur la géographie et les réalités naturelles, est la meilleure voie pour adapter notre organisation territoriale. L’Aneb a commencé avec une quarantaine d’adhérents : des présidents d’EPTB, d’établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau (Epage), de syndicats de bassin versant, des élus de grandes agglomérations et parlementaires, etc. Son assemblée générale constitutive s’est tenue en mars dernier. Le potentiel de collectivités amenées à rallier la démarche est large. Les élus intéressés devront signer une charte d’engagement qui comprend trois axes, dont la défense du de principe de cohérence et de solidarité dans le domaine de la gestion de l’eau à l’échelle de bassins ou groupements de bassins hydrographiques. Nous sommes dans une position d’accompagnement et ne sommes bien sûr pas les seuls. L’eau est un enjeu fédérateur mais face aux problématiques environnementales, énergétiques ou d’urgence climatique, il ne faudrait pas qu’elle soit mise de côté et devienne le parent pauvre. La mobilisation de tous les acteurs concernés est au cœur de la réussite d’une gestion durable de l’eau au regard d’enjeux territoriaux transversaux.
Vous prônez sur ces sujets de politiques publiques de l’eau le développement de solidarités territoriales ? Sous quelles formes peut s’exprimer cette solidarité ?
Elle peut prendre la forme d’une mutualisation des expertises, des personnels et des outils. Par nature, les ETPB le permettent. Par exemple dans l’ETPB de la Somme, que je préside, un ingénieur calé sur des enjeux très pointus est mis à disposition des communautés de communes adhérentes. Cette solidarité peut aussi se concrétiser sous la forme d’échanges d’expériences. Le partage des connaissances est en ce sens au centre de notre charte d’engagement. Il faut en finir avec une approche jacobine qui positionne cet enjeu de l’eau dans une tour d’ivoire, alors que le citoyen manifeste sa volonté de se l’approprier. Les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage) sont un excellent outil pour tisser et muscler ces solidarités territoriales. À condition de ne pas en faire un document aussitôt rangé dans un tiroir ! Il faut le faire vivre et qu’il intègre une feuille de route traitant de l’eau dans sa globalité et son fonctionnement d’ensemble. De même pour les stratégies locales de gestion des risques d’inondation (SLGRI). Dans la Somme, ce document de planification et outil de mise en œuvre de la Directive Inondation fait 800 pages – ce n’est pas rien !
Propos recueillis par Morgan Boëdec
© Aneb