Julien Aubert, 47 ans, préside l’Institut Valmy, un think tank lancé au printemps 2025 sous le patronage de Jean-Pierre Chevènement et Henri Guaino. Ancien élève de l’ENA, député de Vaucluse de 2012 à 2022, il est magistrat à la Cour des comptes. Président du mouvement gaulliste Oser la France qu’il a fondé en 2017, il a été nommé en 2023 vice-président du parti Les Républicains. Le premier rapport de l’Institut Valmy porte sur la décentralisation.
Propos recueillis par Jacques Cognerais
Article tiré du Journal des Communes numéro 2226 – Décentralisation : sortir du discours managérial
Journal des Communes : Pourquoi avoir choisi la décentralisation comme pre- mier sujet d’études de l’Insti- tut Valmy que vous venez de lancer avec des personnalités de la droite souverainiste et de la gauche républicaine?
Julien Aubert: L’Institut Valmy a choisi d’ouvrir sa session inaugurale sur les 20 ans du référendum sur la constitution européenne, car une partie de notre souveraineté s’est éva- porée « vers le haut ». Il nous a semblé utile cependant de regarder « vers le bas » avec ce formidable mouvement de délégation de compétences et de missions amorcé à peu près à la même époque que l’Acte Unique. En effet, la décentra- lisation est une vache sacrée, comme le projet européen. Nous croulons sous les dis- cours appelant à de nouveaux actes de Décentralisation alors que, dans le même temps, tout le monde constate le caractère illisible de l’organisation actuelle et son inefficacité. Alors que le débat budgétaire se tend, les faux- semblants se dissipent. En réa- lité, chacun voit sa décentralisation à sa porte. Il y a ceux qui aiment la commune et ceux qui pensent qu’elle a vocation à disparaître devant les EPCI. Il y a les défenseurs du Département et ceux de la Région. Moralité : on a tout gardé et on rogne partout.
JDC : Q u e l l e s m e su r e s phares préconisez-vous pour « repenser la décentralisation » après plusieurs mois d’auditions et de réflexions?
JA: Il faut sortir du discours techniciste et managérial et chercher l’intérêt général qui est d’abord l’intérêt national. L’État s’appuie sur la maille départementale pour la décon- centration: c’est donc un mail- lon intéressant d’articulation. Quant à la commune, elle est la seule collectivité de liberté locale, au sens strict du terme, et c’est ceci qu’il faut préserver. Nous proposons donc de redonner du sens à la com- mune en nous fixant un objec- tif: remplir une école, car cette petite patrie qu’est la com- mune n’a de sens que si elle est en capacité de renouveler sa citoyenneté. De même, si les limites des départements peuvent être amenées à bouger, nous pro- posons d’en faire la compo- sante essentielle de la Région. Au niveau départemental, le fameux conseiller territorial – unique – siégerait avec les présidents d’EPCI, les députés et sénateurs (de droit). Cette assemblée choisirait de délé- guer ou pas au niveau régio- nal certaines compétences. L’assemblée régionale serait, quant à elle, différente avec les mêmes conseillers territoriaux mais aussi les élus consulaires afin d’en faire une vraie collec- tivité ouverte sur la société. Évidemment, les grandes régions seraient revues car ce serait les départements qui choisiraient de se regrouper différemment de ce que l’on propose aujourd’hui. Une autre idée choc: supprimer les préfets de Région et densifier le réseau des sous- préfets, en leur donnant la capacité de suspendre l’application de normes inapplicables. Tout un défi.
JDC: En matière de finances publiques, comment retrouver des marges de manœuvre pour les collectivités locales dans un contexte national très contraint ? Comment trancher le «nœud gordien» de l’autonomie financière des collectivités énoncé par la réforme Raffarin, mais incomplète dans les faits?
JA : L’autonomie financière n’est pas l’autonomie fiscale, même si la seconde y contribue. Nous proposons que les recettes soient organisées en deux grands blocs correspondant aux champs économiques qui sont ceux du bloc communal ou départemental/régional. L’important est d’avoir des recettes contracycliques et que le citoyen soit rattaché par l’impôt à un territoire. Par exemple, une fraction de l’impôt sur le revenu serait payée aux communes sur la forme d’un forfait commun à tous les contribuables, afin d’avoir une véritable universalité.
Il faut sortir du discours techniciste et managérial et chercher l’intérêt général.
JDC : Dans la tension historique existant en France entre jacobins et fédéra- listes, où situez-vous le curseur ? Comment concilier aujourd’hui efficacité de l’État et libertés locales?
JA : On confond beaucoup de choses, et notamment centralité et État. La décentralisation est un fait administratif ET politique, d’où sa complexité. Reste qu’elle n’est qu’un choix de l’État et ne saurait devenir un outil de l’affaiblissement de l’État- nation. L’Institut Valmy plaide pour une déconcentration maximale (cf. sous-préfet) et une décentralisation qui fixe comme règle que plus on se rapproche du niveau central, moins la liberté est forte. La commune doit donc avoir les mains les plus libres possibles. La Région de son côté est quasiment un « sparring-partner » de Paris. Il faut cependant revoir certains outils dépassés comme les contrats État/ Région. Pourquoi pas des négociations budgétaires et un projet de loi de finance- ment des collectivités locales?
La commune doit avoir les mains les plus libres possibles.
JDC: Dans ce rapport vous citez souvent Michel Debré comme référence. Quel est selon vous l’apport gaulliste à l’idée de décentralisation en France alors que celle-ci n’a vu techniquement le jour que sous la présidence de François Mitterrand?
JA : De Gaulle avait pressenti que le développement économique devait être fait au plan régional et nous avons repris l’idée de 1969 de faire des conseils régionaux des enceintes qui ne soient pas seulement politiques. Quoique d’inspiration jacobine, l’Institut Valmy a donc remis en question deux totems implicites de notre organisation politique: l’homothétie et l’uniformité. En vertu du premier concept, chaque strate est organisée de la même manière. Dans notre proposition, les dépar- tements et les régions auraient des conseillers communs mais seraient ouverts sur d’autres légitimités (nationales, socio- économiques) pour casser le cloisonnement français. En vertu du second concept, tout doit être taillé identique : les régions doivent peu ou prou avoir la même taille, comme les départements du reste. C’est une erreur : acceptons les petites régions, tant qu’elles ont une base historique. Ce qui manque aujourd’hui c’est de l’affectio societatis.
JDC: Une grande réforme des collectivités doit-elle et peut- elle être selon vous réalisée en priorité dès le début du prochain quinquennat?
JA: Ce n’est pas une question budgétaire. C’est une question démocratique. Le local est une magnifique école d’apprentis- sage mais si les responsables locaux sont frustrés, rien de bon ne peut en sortir. Ma réponse est donc: oui, et pourquoi pas. Mais pas une énième loi qui ne traiterait que des sujets à la marge. Allons-y franco!