La commission des lois du Sénat a examiné le 22 juin, sous la présidence de Philippe Bas et sur le rapport de François Pillet, le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit Sapin 2, ainsi que la proposition de loi organique relative à la compétence du défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte adoptés en première lecture par l’Assemblée nationale le 14 juin dernier. Plusieurs articles ont toutefois été délégués aux commissions des affaires économiques et des finances.
La nouvelle “Agence de prévention de la corruption“, rebaptisée ainsi par la commission des lois, voit ses missions clarifiées (art. 3). Son pouvoir de sanction, déjà limité, est supprimé. Son rôle interministériel de coordination et d’élaboration de recommandations est, lui, conforté, et ce “à l’égard de l’ensemble des personnes morales publiques et privées” pour prévenir et détecter “les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme”. Après ce passage en commission, le délit d’entrave au contrôle de l’Agence pour vérifier l’efficacité des dispositifs internes de prévention est précisé et assorti d’une amende de 30.000 euros.
Précision sur les lanceurs d’alerte
La définition du lanceur d’alerte (art. 6 A) est clarifiée autour de trois critères propres à l’intentionnalité de la personne physique qui signale : elle doit agir dans l’intérêt général, de manière désintéressée, mais également de bonne foi. Deux champs principaux sont retenus pour ce socle commun de l’alerte éthique : les crimes ou délits et les manquements manifestes de la loi ou du règlement. Le lanceur d’alerte bénéficiera d’une protection de la loi, dans les conditions du droit commun, à condition de respecter la procédure graduée – précisée par la commission – organisant le signalement de l’alerte (art. 6 C), “faute de quoi il engagerait sa responsabilité civile et pénale”. Le texte prévoit une obligation sans dérogation de procédures internes pour les organismes de droit public, les administrations de l’Etat et les collectivités territoriales. En revanche, la commission a supprimé les dispositions relatives à cette obligation pour les entreprises, estimant, selon le rapporteur, “qu’il est plus approprié de recourir au droit souple”.
Le texte (art. 6 D) garantit également la confidentialité de la personne visée par l’alerte jusqu’à son renvoi devant une juridiction. L’article 6 F relatif à la prise en charge par le Défenseur des droits de l’aide financière propre aux lanceurs d’alerte est supprimé.
La possibilité de prononcer la peine complémentaire de mise en conformité (art. 9) est étendue aux divers délits de trafic d’influence concernant des agents publics français ou des magistrats français. Le délit de favoritisme (art. 10) est recentré sur son véritable objectif, à savoir “punir les acheteurs favorisant délibérément une entreprise”. L’article 12 bis A (report du point de départ du délai de prescription pour l’ensemble des infractions occultes ou dissimulées) est supprimé.
Représentants d’intérêts : la liste recentrée
Sans revenir sur le registre commun au Parlement et au gouvernement, la commission a recentré la liste des acteurs concernés (art. 13). Lors de son audition, le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) avait d’ailleurs alerté la commission sur les risques que présentait une liste aussi étendue, notamment du fait de l’inclusion des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. La commission resserre donc la liste des fonctions mentionnées en ne retenant que les membres du gouvernement, leurs collaborateurs, les hauts-fonctionnaires nommés sur un emploi à la discrétion du gouvernement, les membres et cadres des autorités indépendantes et du Conseil d’Etat.
A l’inverse, le texte écarte les élus locaux, les membres de cabinets de ces autorités territoriales ainsi que l’ensemble des fonctionnaires appelés à déposer une déclaration d’intérêts “car ces ajouts éloignent le répertoire commun de son objet initial : rendre transparent les interventions dans le cadre du processus d’élaboration de la loi et du règlement au niveau national”, relève le rapporteur.
La définition de la représentation d’intérêts est également réécrite, en retenant l’activité ayant pour finalité d’influer, toujours pour son compte ou celui d’un tiers, “sur l’élaboration d’une loi ou d’un acte règlementaire”. Jouant le rôle d’une “plateforme technique”, ce registre commun aurait pour seule fonction d’agréger les informations communiquées à la HATVP au titre des autorités administratives et gouvernementales et celles transmises par les pouvoirs publics constitutionnels (président de la République, Assemblée nationale, Sénat, Conseil constitutionnel) pour leur compte, dans le respect du principe d’autonomie. A la place d’un dispositif “touffu”, le texte renvoie à la HATVP le soin de fixer par une délibération publiée au Journal officiel les règles déontologiques applicables à ces représentants d’intérêts. Il supprime en outre l’obligation complémentaire du dépôt auprès de la HATVP, selon un rythme semestriel, d’un “bilan des activités de représentation d’intérêts réalisées le semestre précédent”. De même que la procédure de sanction administrative confiée à la HATVP en lui substituant la création d’une infraction pénale.
Doutant de sa constitutionnalité, la commission a également supprimé l’article 14 bis A imposant la publicité d’informations relatives aux emprunts souscrits par les candidats à une élection et les partis et groupements politiques. De même que les articles 14 bis C (compétence de la HATVP pour contrôler la reconversion professionnelle vers le secteur privé des anciens membres des autorités indépendantes) et 14 bis C (publicité des avis de la commission de déontologie de la fonction publique lorsqu’elle se prononce sur la compatibilité de l’exercice d’une activité privée pour un fonctionnaire quittant son emploi public “pantouflage”).
Domanialité et commande publiques
Le texte comporte désormais une division additionnelle (titre II bis) consacrée à la modernisation des règles de la domanialité et de la commande publiques. Y est précisée le champ de l’habilitation proposée pour modifier le droit de la domanialité publique (art. 15). Il s’agira notamment de simplifier et harmoniser le régime des baux emphytéotiques administratifs et des autorisations d’occupation temporaire. Les cas d’occupation et d’utilisation gratuites du domaine public devraient être élargis. Seront par ailleurs précisés les régimes juridiques applicables aux contrats de sous-occupation du domaine public et aux promesses de vente sous conditions de déclassement conclues par les personnes publiques.
Le texte envisage également d’ouvrir la possibilité de prendre des mesures, y compris de manière rétroactive, tendant à la régularisation des actes de transfert de propriété des personnes publiques. En revanche, il supprime les obligations de mise en concurrence et de publicité que le gouvernement souhaitait créer pour les baux emphytéotiques administratifs et les autorisations d’occupation temporaires. Ces contraintes supplémentaires qui s’imposeraient aux personnes publiques, et notamment aux collectivités territoriales, “ne sont pas indispensables” et seraient, selon le rapporteur, “source de confusions par rapport aux marchés publics”.
Sur le volet commande publique, le projet de loi (art. 16 bis) complète l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics dont il envisage la ratification (identification de l’équipe de maîtrise d’œuvre). Le texte est désormais enrichi des modifications déjà apportées à cette ordonnance par la commission sur le rapport d’André Reichardt. L’article 16 quinquies est quant à lui supprimé (modalités d’examen des candidatures lors de l’attribution des concessions de service non public).
Cavaliers législatifs
Les modalités d’accès des Conseils régionaux au fichier bancaire des entreprises tenu par la Banque de France (Fiben) seront alignées sur celles applicables aux autres adhérents (art. 22 quater). Une modification du décret d’application n° 2015-1854 du 30 décembre 2015 devrait intervenir en conséquence. Les crédits municipaux auront un seuil de règlements en espèces autorisés à 3.000 euros modifiable par décret “pour s’adapter aux aléas futurs” (art. 25 A). Enfin, plusieurs “cavaliers législatifs” sans rapport avec le projet de loi ont été supprimés. C’est le cas de l’article 54 bis A (mention du coût de gestion des déchets sur les factures de vente de pneumatiques), de l’article 54 bis D (ratification de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux gares routières) ou encore 54 bis E (faculté pour les communes de faire réaliser les enquêtes de recensement par des agents assermentés d’un organisme chargé d’une mission de service public).