Voulu par les élus du groupe UDI du conseil régional d’Île-de-France, le “Grenelle de la précarité énergétique” a tenu sa première réunion le 27 février, sous la houlette de Chantal Jouanno, vice-présidente de la région en charge de l’Ecologie. Elle a rassemblé une centaine d’acteurs de tous bords, venant tant du secteur privé que du public, avec en tête, des collectivités. Étant un phénomène aux multiples visages, rendant parfois difficile le consensus et une définition précise, “cette approche d’ensemble et grenellisante est la bonne“, a félicité en introduction Philippe Pelletier, président du plan Bâtiment durable.
Un ménage sur cinq
Le constat est sans appel : la précarité énergétique nécessite, pour être détectée et combattue, “une mise en coopération d’acteurs issus d’horizons différents, à la fois des secteurs du logement, du social, de l’énergie“, a rappelé Bertrand Lapostolet, un ancien de la Fondation Abbé Pierre devenu directeur du fonds de dotation SoliNergy. En Île-de-France, elle touche un ménage sur cinq, si l’on croise deux indicateurs relevant de deux approches distinctes – l’une fondée sur la dépense énergétique, l’autre sur l’inconfort thermique. Dans la première approche, on parle de précarité énergétique quand la part de la dépense énergétique contrainte est trop importante dans le revenu du foyer. “Cette part est appelée taux d’effort énergétique. C’est un indicateur pratique mais pas toujours adapté au contexte francilien“, tempère Lucile Mettetal, chargée d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) de la région Île-de-France.
Dans la région, 900.000 habitants consacrent plus de 10% de leur revenu à la facture énergie. “Il s’agit en majorité de modestes propriétaires de maisons anciennes, mal isolées, ou de personnes âgées, vivant seules et se chauffant souvent au fuel. Ou encore de familles monoparentales et de locataires du parc social, équipés en chauffage collectif“, poursuit-elle. L’approche par la sensation de froid et l’inconfort thermique révèle des profils différents. Selon la chargée d’études, “il s’agit plus dans ce cas de ménages chauffés à l’électrique, des couples et des familles vivant en immeuble ou en maison“.
Massifier le repérage
En outre, il y a tous ceux qui passent sous les radars de l’action publique et ne sollicitent pas d’aide. Or ce sont eux qu’il faut aller chercher. “La tâche n’est pas aisée, ces habitants ne connaissent pas les dispositifs existants et les travailleurs sociaux sont insuffisamment outillés pour les aider“, explique Bouchra Zeroual, responsable de projets au sein du réseau Cler. Ce réseau coordonne les services locaux d’intervention pour la maîtrise de l’énergie (Slime). Ce programme national, après quatre ans de mise en œuvre, a rodé sa méthodologie. Il vise à massifier le repérage des ménages en précarité énergétique et octroie aux collectivités qui le déploient le bénéfice des certificats d’économies d’énergie (CEE). Celles qui s’engagent peuvent ainsi valoriser une partie des sommes investies via ce dispositif. Une vingtaine ont franchi le pas en France, dont trois dans la région : le conseil départemental du Val-de-Marne, la communauté urbaine Grand Paris Seine & Oise et la ville de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis. “Ce repérage représente un travail de fourmi et débouche sur des visites à domicile pour travailler avec l’habitant sur sa facture et l’orienter vers une solution adaptée“, ajoute Bouchra Zeroual.
D’autres pistes à explorer
A Montfermeil justement, le maire, Xavier Lemoine, applaudit l’outil, rappelle qu’il y en a d’autres mais que, pour la collectivité, “c’est bien le passage à l’action qui reste compliqué“. Cet élu plaide en faveur du développement de l’auto-réhabilitation accompagnée en Île-de-France. Perçue comme un levier de l’amélioration énergétique de l’habitat individuel dans le périurbain francilien, elle est portée depuis des années sur le plan national par les compagnons bâtisseurs et consiste à aider des particuliers modestes à réaliser eux-mêmes leurs travaux de rénovation énergétique.
Ce maire cite aussi, parmi les outils à explorer, la démarche Bimby, acronyme anglais de Build in my backyard (construire dans mon jardin), en opposition au Nimby (surtout pas chez moi). Son principe ? Suggérer aux propriétaires de maisons de diviser leur parcelle pour y permettre l’ajout de nouvelles constructions. Ce qui revient à construire dans leur jardin. Lié à l’enjeu de redensification des centres, c’est une nouvelle façon de voir l’avenir des tissus déjà bâtis. Bien employée, elle pourrait inciter à la rénovation énergétique et solvabiliser des ménages pour qu’ils puissent isoler leur maison. L’Ademe l’a bien compris et, avec le parc naturel régional du Vexin, va renforcer grâce à cette démarche son incitation à la rénovation énergétique. L’idéal est de la tester à l’occasion de la révision d’un plan local d’urbanisme (PLU). Bimby suscite ainsi un certain enthousiasme dans le Val-d’Oise.
Un enjeu de santé environnementale
Autre département, autre retour d’expériences : “En Seine-et-Marne, la détection de la précarité énergétique reste un exercice compliqué et nécessite de s’appuyer sur des relais locaux“, rebondit Christophe Parisot, directeur de Seine-et-Marne environnement. Les franges est et sud du département sont les plus touchées, avec un bâti construit avant 1975 et souvent chauffé au fuel. “Trop souvent, la précarité énergétique est perçue comme un sujet d’énergie et moins par le secteur social, qui croule il est vrai sous d’autres enjeux à traiter“, reconnaît-il.
Les agences régionales de santé, sans être directement compétentes sur le sujet, commencent à s’y attaquer. Dans le cadre du troisième plan régional santé environnement (PRSE 3 2017-2021), qui sera soumis en mars à la consultation du public et publié en juin prochain, une action fait le lien entre déperditions thermiques et évaluation de l’insalubrité du logement. Avec, à la clé, des expérimentations prévues sur des territoires et des enseignements à en tirer. Enfin, tous les yeux sont aussi tournés vers les programmes nationaux actuels tels que “Habiter mieux”, qui éprouvent des difficultés à monter en charge. “Nous avons bien conscience qu’il y a des améliorations à apporter. L’effort de remise à plat est en cours. Nous explorons aussi de nouvelles pistes, par exemple mobiliser les facteurs pour aider dans ce repérage des situations de précarité énergétique”, a conclu Vincent Perrault, responsable de ce programme à l’Anah.