Bornes de recharge : les députés craignent une fracture territoriale


Le retard de déploiement des bornes de recharge promises dans l'Hexagone a été déploré par des experts et parlementaires participant à un débat organisé par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

Deux ans et demi après l’adoption d’une loi visant à faciliter l’installation des bornes de recharge pour véhicules électriques sur l’espace public, où en est-on sur le terrain ?

Frédérique Massat, députée de l’Ariège, auteure et rapporteure de cette loi, a tenu à faire le point et convié le 8 février dernier, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, des opérateurs de recharge, des experts du sujet et des représentants des collectivités, qui font partie des maîtres d’œuvre dans l’essor d’un réseau cohérent d’infrastructures.

Au cœur de cette loi figurait la nécessité de dépasser l’obstacle de l’autonomie limitée propre à ces véhicules grâce au déploiement d’un réseau de bornes plus dense. “Aujourd’hui, on en est à 16.000 points de charge accessibles au public. Un tiers d’entre eux sont détenus par des collectivités. 80.000 véhicules électriques sont en circulation. On considère qu’il faut un ratio de 1,2 borne par véhicule en circulation. Si on inclut les points de charge privés, on est dans les clous“, rassure Marie Castelli, secrétaire générale de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere).

 

Lacunes dans le maillage

Un optimisme loin d’être unanimement partagé. Des trous dans le maillage territorial des bornes de recharge inquiètent les parlementaires. “Des zones blanches de territoires non équipés apparaissent nettement. Par exemple dans les Vosges et le Massif central”, souligne Jean-Luc Moullet, directeur de programme au Commissariat général à l’investissement. “Le fait qu’un quart du territoire soit mal ou pas du tout équipé est préoccupant. Résorber cette fracture territoriale devient urgent“, presse Pascal Houssard, salarié d’un syndicat départemental de l’énergie, le SydeV (Vendée) et représentant de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

 

Bolloré pointé du doigt

Le groupe Bolloré est pointé du doigt par les élus et parlementaires. L’industriel breton a endossé un rôle d’opérateur national et promis 16.000 points de charge publics. Un projet validé au plus haut niveau par le ministère de l’Économie. Ces bornes devaient être déployées en deux temps dans près de 4.000 communes, en veillant à couvrir l’ensemble des régions et départements. “Ce qui a été programmé n’a pas été tenu, comment cela se fait-il ?“, a tenté d’interroger Frédérique Massat, sans réponse de l’industriel. Un sentiment de confiance trahie brûle les lèvres d’autres élus parlementaires.

Résultat ? Un réseau réduit à peau de chagrin. “Nous avons installé 7.000 bornes en comptant Autolib’. Le fait que des propriétaires se branchent de plus en plus sur ce service public d’autopartage pour recharger leurs véhicules personnels pose d’ailleurs souci. Nous avons beaucoup investi et acquis de l’expérience dans l’exploitation des bornes. Nous reprenons le réseau londonien, où les usagers paient pour se recharger. En France, l’accepteraient-ils ? Pour l’installation des bornes en tout cas, sans cofinancement de l’Ademe ou de l’Europe, l’équation économique n’est pas au rendez-vous et c’est cela qui bloque dans les territoires qui en attendaient“, a reconnu Didier Marginèdes, vice-président de BlueSolutions, la filiale du groupe Bolloré spécialisée dans les véhicules électriques.

 

Un retard préoccupant

Cette défaillance serait moins handicapante si le principal programme de déploiement de bornes de recharge, via les financements des programmes d’investissements d’avenir (PIA), avait pour sa part porté ses fruits. Or il a pris un retard important. L’Ademe avance régulièrement que 77 projets d’infrastructures ont été soutenus par ce biais, soit 61 millions d’euros d’aides. “Ces projets portaient la promesse d’équiper les territoires de 20.533 points de charge, mais seuls 3.000 ont pour l’heure vu le jour sur la voie publique. Ces retards sont notamment dus aux délais de recueil des délibérations des collectivités locales ou de contractualisation, au temps aussi que prennent les études techniques, etc. Si bien qu’à ce jour, difficile de tirer un retour d’expérience sur le fonctionnement de ces bornes ou sur leur utilisation par les usagers“, indique Jean-Luc Moullet.

 

D’autres enjeux

Il persiste aussi des obstacles juridiques à l’installation de bornes. Par exemple nous avons fait le droit et jurisprudence sur la question de l’accessibilité aux bornes des personnes à mobilité réduite (PMR). Et une fois installées, il faut qu’elles fonctionnent, ce qui a un coût d’un million d’euros par an pour les 187 bornes que nous exploitons pour le compte de collectivités l“, ajoute de son côté Juliette Antoine-Simon, directrice générale de Sodetrel, la filiale d’EDF dédiée à la mobilité électrique.

Enfin, un autre enjeu intéressant les élus locaux a été pointé par le député LR du Pas-de-Calais et maire du Touquet, Daniel Fasquelle, à savoir le lien entre mobilité électrique et tourisme : “Ce retard de déploiement pose en effet problème pour des communes touristiques comme la mienne. Je reçois de plus en plus de plaintes provenant de visiteurs venant en voiture électrique et ne pouvant se recharger au Touquet. De manière générale, les gares et parkings relais sont trop faiblement équipés“, a-t-il conclu.

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