Arnaud Levitre, maire d’Alizay (Eure), a développé tout un programme pour parvenir à l’autosuffisance alimentaire : d’abord, en alimentant la cantine avec des légumes qui poussent dans un potager voisin. Ensuite, en créant une zone éducative d’agriculture paysanne au cœur du village. Une démarche originale que nous présente l’élu.
Propos recueillis par Yannick Urrien.
Journal des communes: Quelles raisons vous ont conduit à travailler sur cette question de l’autosuffisance alimentaire?
Amaud Levitre: Ilya quelques années, nous étions dans une restauration scolaire traditionnelle, avec de la nourriture sous-traitée, et cela posait plusieurs problématiques. D’abord, on ne valorisait pas le travail de nos agents, ce n’était pas un travail de cuisinier. Ensuite, les enfants trouvaient que ce n’était pas très bon et les parents n’étaient pas satisfaits. Nous avons fait le choix de créer un nouvel investissement avec le conseil municipal, d’un montant de 1,9 million d’euros, avec une nouvelle restauration scolaire: un self-service pour les écoles alimentaires et un service à table pour les écoles maternelles. Comme nous sommes une collectivité progressiste, nous voulions que l’écologie sociale soit en lien avec les moyens des habitants. J’ai un responsable des espaces verts qui étudie un diplôme universitaire dans une ville qui se trouve près de Cannes, qui est à 100% bio, avec une démarche d’éducation populaire assez importante. Maintenant, sur Alizay, nous sommes aujourd’hui à 70% de bio et nous avons fait le choix de travailler dès le départ à rendre bio chaque nouvelle denrée alimentaire, ce qui nous permet d’avoir une visibilité, En matière d’éducation populaire, nous voulions aussi sensibiliser les enfants autrement que par un repas sur table. Nous avons des animateurs dédiés à la restauration scolaire qui travaillent sur la politique des déchets. Ainsi, les enfants pèsent leurs déchets à chaque repas et cela permet de faire des économies d’échelle en leur expliquant qu’ils doivent manger à leur faim sans avoir besoin de remplir leur assiette sans limites. Notre cuisinier fait aussi des repas à la demande, c’est de la cuisson rapide et cela permet d’avoir une maitrise du budget, tout en étant dans une démarche d’éducation populaire. Sur la réalisation de nos menus, nous mettons en place une commission avec une enseignante, un parent et des citoyens, pour avoir une démarche collective. Nous avons fait le choix de ne pas augmenter le prix du repas. C’est un investissement assez fort, puisque nous sommes a peu prés à 10 € pour un repas, en comptant les charges et le personnel, alors que nous proposons une tarification sociale quivade0,70 euro à 1,80 euro. Tout cela participe à l’intégration de l’écologie dans la vie quotidienne.
JDC: Proposer une nourriture saine va aussi avoir un impact positif sur la santé des jeunes…
AL: Nous avons fait une étude et, quand on donne la possibilité à des enfants très jeunes de prendre ‘habitude de cultiver et de manger bio, l’espérance de vie peut augmenter de sept ans. L’idée est d’emmener les enfants, les parents et les grands-parents dans cette démarche. Nous sommes aussi dans une démarche d’éducation populaire à travers toutes les générations. Parallèlement, nous avons un gros projet, puisque nous avons 4,5 hectares, en plein cœur du village. Au départ, l’idée était de créer 75 logements. Mais, avec la crise sanitaire, nous nous sommes rendu compte que nous faisions une erreur. Donc, nous allons créer des maisons indépendantes pour des personnes âgées. Nous avons un médiateur local qui sera à leur disposition chaque matin, notamment pour les aider à faire leurs courses. Nous avons aussi des terrains agricoles que nous avons achetés et nous travaillons sur un process, avec l’intégration d’un maraîcher sur la commune, ce qui permettrait d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à 100 % d’ici à quelques années. Quand on est élu, soit on fait à la place des habitants, soit on travaille de manière conjointe et collective. À chaque projet d’investissement, nous faisons une réunion publique, avec un cahier de doléances qui est ouvert pendant quelques mois, et nous répondons à toutes les demandes. Dans la situation politique que nous vivons, j’estime que les élus de proximité, notamment dans la ruralité, ont réellement la possibilité de mettre en place ce système de démocratie participative. Nous sommes un village paradoxal, puisque nous avons 1614 habitants, avec un budget de 7 millions d’euros, mais tout cela est venu par une précédente équipe qui était déjà dans une démarche de gauche de conquête sociale. Donc, ils ont triplé la taxe professionnelle en portant un contrat avec les entreprises locales, en expliquant que cette taxe irait directement à la construction de zones industrielles et de zones artisanales sur le territoire. Nous sommes à la frontière entre la Seine-Maritime et l’Eure, à une heure de Paris, à une heure du Havre, et nous avons un parc d’artisans intéressants.
11 faut que les salariés puissent avoir leur mot à dire sur la stratégie des entreprises.
JDC : On reproche souvent à une certaine gauche d’être déconnectée et trop bobo parisienne: incarnez-vous une autre gauche à la Fabien Roussel, proche des territoires ?
AL: Cela me parle. Je suis communiste et je suis favorable à l’émergence des idées de progrès. Nous sommes dans une situation où nous devons rassembler les gauches de conquête sociale. Vous évoquez une gauche hors-sol et je ne suis pas certain que cela participe à la nouvelle émergence d’un pacte de gauche qui permettrait de prendre le pouvoir demain. J’aime bien chez Fabien Roussel ce côté terroir, cette volonté d’être sur le terrain, en allant voir les chefs d’entreprise, mais en même temps les salariés, pour travailler à l’émergence de nouveaux droits sociaux. Par exemple, il faut que les salariés puissent avoir leur mot à dire sur la stratégie des entreprises. Sur la question de l’Europe, certains veulent faire une liste unique aux européennes, mais le problème c’est que les gauches ne sont pas d’accord entre elles sur cette question des européennes. C’est une élection à la proportionnelle et, chaque fois qu’il y a eu des élus de gauche au Conseil européen, c’est parce qu’ils sont partis sous les couleurs de leur propre parti politique. Comment voulez-vous faire une gauche réaliste, avec une union des gauches de conquête sociale, lorsque l’on n’est pas d’accord sur le programme? Je considère que le rassemblement de la NUPES était nécessaire. La manière dont cela a été fait, en quinze jours sur le coin d’une table, c’est contestable, mais c’est un bon début pour travailler ensemble le plus largement possible et sans ségrégation.