Ces trois mois de travaux seront notre boussole pour la suite du quinquennat”. Tels furent les propos choisis par la ministre des Transports Elisabeth Borne pour clôturer le 13 décembre des Assises nationales de la mobilité, qui ont suscité beaucoup d’attentes et une importante mobilisation des acteurs du secteur, notamment des élus et représentants des collectivités locales. Une soixantaine de réunions ont été organisées dans les territoires – une quarantaine sous forme d’ateliers par les préfectures de région plus une vingtaine à l’initiative d’élus ou de chambres de commerce et d’industrie. D’autres suivront pour aborder des problématiques spécifiques aux départements et territoires d’outre-mer dans le cadre des assises des outre-mer prévues début 2018.
“Franchement, je ne m’attendais pas à une telle mobilisation”, a commenté la ministre, non sans ajouter avoir entendu sur le terrain “la résignation des élus des territoires qui désespèrent de voir enfin la mise à niveau des infrastructures du quotidien, promises et repoussées depuis vingt, trente ans, de contrats de plan en contrats de plan”.
Lutter contre les zones blanches
Il ressort de ces ateliers territoriaux un constat d’inadaptation des infrastructures et services de transport existants à l’ensemble des besoins de mobilité. Mise à niveau inachevée de routes nationales, dégradation de lignes ferroviaires reliant de petites et moyennes villes à la métropole la plus proche, congestion routière, problématiques des travailleurs transfrontaliers et d’égalité d’accès à la mobilité, manque de fiabilité et de fréquence des transports en commun en zone rurale… “Je ne me résoudrai jamais à ce que la mobilité soit un facteur d’exclusion et veux en faire une priorité nationale. Aussi, je travaille en étroite collaboration avec Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires et Muriel Penicaud, ministre du Travail. Aujourd’hui, près de 80% de notre territoire n’est couvert par aucune autorité organisatrice de mobilité. Pas plus que nous n’acceptons de zones blanches en matière de numérique ou de santé, nous ne pouvons les accepter pour les transports. La loi mettra donc en œuvre les leviers nécessaires pour que l’ensemble du territoire soit couvert par une autorité organisatrice de la mobilité”, a annoncé la ministre.
Les initiatives publiques et privées notamment pour promouvoir la “mobilité inclusive” (voir notre article dans l’édition du 29 janvier 2016), ne semblent pourtant pas manquer. “Elles sont nombreuses dans les territoires mais des zones blanches perdurent, sans solutions de mobilité durable. De nouvelles technologies améliorent le service des uns tout en étant inaccessibles à d’autres. Tout cela nourrit des ruptures territoriales et sociales de plus en plus fortes, de moins en moins acceptables”, a souligné Michel Neugnot, vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, à la tête de l’atelier portant sur les mobilités solidaires.
La synthèse des travaux de ce groupe d’experts apporte un éclairage intéressant sur ces zones blanches. Le problème se poserait non dans les 250 métropoles, communautés urbaines et d’agglomération, qui “sont autorités organisatrice de la mobilité (AOM) par nature, compétence qu’elles ont pris en direct ou sous forme de syndicat”, mais dans le millier de communautés de communes qui ne s’en sont pas saisies (cette compétence bien qu'”essentielle sur les territoires” est facultative). S’ensuit une proposition d’évolution législative en vue d’attribuer aux régions le rôle d’autorité chargée d’organiser la mobilité au sens large dans les périmètres qui ne sont pas du ressort de ces AOM. Si ces régions ne souhaitent pas exercer directement cette compétence, elles pourraient “choisir d’en déléguer totalement ou partiellement l’exercice au bloc communal (…) voire au département à l’instar de ce qui existe avec les autorités organisatrices de second rang”.
En outre, ces régions pourraient être sollicitées pour constituer un réseau d’ingénierie de “conseillers-animateurs de la mobilité” pour appuyer les territoires périurbains et ruraux, “où les moyens matériels et financiers sont peu nombreux, souvent dispersés”. Pour permettre aux EPCI périurbains et ruraux de disposer de l’ensemble des compétences techniques et apporter des réponses de mobilité au plus près des situations, ce groupe de travail suggère d’encourager les AOM à mutualiser avec eux leur ingénierie de mobilité et à constituer “dans chaque département rural” un réseau de quatre à cinq conseillers en mobilité.
Autre proposition, créer un label “Territoire à mobilité inclusive” pour valoriser les initiatives locales, sur le modèle des territoires à énergie positive (TEPCV), et s’appuyer sur “des territoires volontaires pour lancer des expérimentations dans un projet de territoire global et sur mesure”.
Rôle des régions
Le groupe de travail sur l’intermodalité préconise aussi son lot d’évolutions institutionnelles et de gouvernance, mais “plus des ajustements pour renforcer la coordination entre les différents acteurs d’un territoire” que des changements revenant sur les équilibres de gouvernance instaurés par les dernières lois, a expliqué sa présidente, la députée de Seine-et-Marne Valérie Lacroute.
Pour ce groupe d’experts, l’un des enjeux de la future loi d’orientation des mobilités attendue en février prochain consiste à mieux “organiser les modalités de coopération entre AOT et acteurs privés du transport”, à “assurer la bonne répartition des compétences sur les questions de mobilité entre collectivités, favoriser l’accès à une offre globale des mobilités, publique comme privée”, renforcer l’obligation de transparence sur les données de mobilité, la concertation entre les autorités organisatrices et à conforter la région comme chef de file des politiques de l’intermodalité.
Il suggère ainsi de lui confier la compétence vélo, autopartage et covoiturage – en dehors des périmètres des AOM – “afin de sécuriser juridiquement son action et d’en faire une AOT ayant des compétences proches de celles d’une AOM dans ce domaine”. Et recommande de mettre en place une structure souple de type “conférence des AOT” pour favoriser le dialogue, le suivi de la mise en œuvre des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), mais aussi pour “identifier et rendre transparents les déficits de coordination dans les flux de mobilité notamment lorsque les offres de plusieurs AO ne sont pas suffisamment coordonnées”.
Pour la députée, “il y a un fort besoin que les collectivités se parlent, par exemple au sujet du développement des voies réservées aux cars, transports collectifs et au covoiturage sur les pénétrantes urbaines congestionnées”. A ce sujet son groupe propose d’adapter la réglementation routière au covoiturage pour un déploiement de ces voies dédiées à partir de 2020, avec une expérimentation dès 2018. Côté financement, il conclut à la nécessité d’expérimenter au bénéfice des régions la possibilité de mettre en place une fiscalité spécifique, “une taxe sur les bureaux par exemple dès lors qu’elle ne remet pas en cause la vitalité économique des centres urbains”.
Soutenir l’innovation territoriale
L’accent a été mis durant ces assises sur l’innovation, ses vertus, ses avancées et ses limites. Pour répondre au “désir chez l’ensemble des acteurs de pouvoir aller plus loin, plus vite, de faire différemment”, plus de 150 millions d’euros seront mobilisés, a annoncé la ministre, “dès aujourd’hui dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir (PIA) pour soutenir l’innovation de nos start-up, PME et développer les innovations issues de la recherche”, mais également pour soutenir et accompagner les territoires qui veulent innover et expérimenter, via une enveloppe de 500 millions d’euros débloqués dans le cadre du Grand Plan d’investissement (GPI) afin de “financer des projets d’organisation territoriale particulièrement ambitieux et innovants”.
Faciliter les péages urbains
Péage inversé testé par la Métropole européenne de Lille (MEL), voie réservée aux bus sur l’autoroute A10 dans l’Essonne… mais à quand les péages urbains ? Le groupe d’experts sur la mobilité plus soutenable, la gouvernance et le financement, préconise de “rendre plus accessible le péage urbain pour les collectivités le souhaitant”. Si son expérimentation est rendue possible par la loi Grenelle 2, aucune collectivité ne s’en est saisie à ce jour, “tandis qu’existent des exemples à l’étranger qui tendent à se multiplier”. La levée des restrictions actuelles à ce dispositif, comme la durée de trois ans “insuffisante pour amortir convenablement un dispositif de perception”, est l’une des propositions, parmi la vingtaine formulées, que Noël de Saint Pulgent, président de ce groupe de travail, a choisi de présenter lors de la clôture de ces assises.
Données et verdissement des véhicules
Dans le rapport à l’innovation et au numérique, Elisabeth Borne a insisté sur le rôle de l’État, qui est “de permettre et réguler, de donner une vision, d’aider, d’accompagner mais également de tracer des limites et de protéger”. La ministre a précisé que le gouvernement portera dans la loi d’orientation à venir “la mise à disposition des données de l’ensemble des modes, non seulement publics mais aussi privés, à l’instar de l’autopartage, des VTC ou encore des vélos en libre service”. Cette loi viendra aussi définir les trajectoires de verdissement des véhicules, “ainsi que les leviers pour que tous les acteurs y contribuent”, et la stratégie de mobilité qui la précédera comprendra un plan vélo. Au final, ces choix du gouvernement ne seront connus qu’en 2018.
Quant aux commissions spéciales Spinetta (sur la SNCF et le modèle ferroviaire) et Duron (sur les infrastructures finançables), elles ne rendront leurs conclusions qu’en janvier. Cette dernière a malgré tout rendu un rapport d’étape.